Bentley. Au coeur de l'atelier cuir et bois de l'usine de Crewe

Bentley doit sa légende au respect des traditions. La marque n'a jamais autant vendu de voitures qu'en 2022. Cette belle performance change-t-elle la manière de concevoir ces voitures ? Après une visite des chaînes de montage, nous entrons dans les ateliers cuir et bois de l’usine Bentley de Crewe.

Par Nicolas Laperruque

Publié le 27/01/2023 - 18:49 Mis à jour le 27/01/2023 - 18:57.

Les peaux proviennent d'Europe du nord, pour le climat tempéré et l'absence de fil de fer barbelé dans les clôtures.

L’an dernier, Bentley a livré pas moins de 15 174 voitures, un record. Une croissance soutenue par le succès du Bentayga, l'introduction de nouveaux modèles et la bonne santé du marché du très haut de gamme. Situé juste derrière la ligne d’assemblage principale de l’usine, dans un de ces bâtiments de briques rouges datant des années 30, l’atelier bois de Bentley est un des endroits les mieux gardés de la vénérable institution Britannique. Dans l’entrée, un simple panneau indique que nous sommes bien au bon endroit “Wood production”. De quoi se préparer au choc. Une pièce recouverte d’étagères regroupant des milliers de feuilles de bois précieux, de toutes les couleurs, dans toutes les essences.

De précieuses étagères

Toutes les feuilles de bois destinées au même véhicule sont minutieusement choisies, comparées, et vérifiées pendant des heures.

Chaque feuille de bois fait 0.6 mm d'épaisseur.

Nous sommes en présence du stock de bois précieux de la marque. Du bois qui vient parfois de loin. L'histoire de ce bois ne commence pas à Crewe, mais dans tous les coins du monde où des arbres exotiques poussent jusqu'à 200 ans avant d'être récoltés. Une fois que la loupe de racine a été cuite à la vapeur et finement tranchée en faisceaux de placage de 0,6 mm d'épaisseur, les experts en placage de Bentley se déplacent partout pour en vérifier chaque pouce, un processus qui prend deux jours.“Nous achetons ce bois aux enchères. Il y a un marché mondial, avec une offre et une demande. Nous choisissons scrupuleusement ce dont nous avons besoin, puis nous soumettons des offres, et si nous gagnons l’enchère, le bois se retrouve ici. Tenez, ce bout de bois que vous tenez entre les mains, je l’ai obtenu aux enchères pour 5500€.” ajoute notre interlocuteur, avec le sourire en coin. Je repose instantanément la précieuse feuille de bois, mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

C'est l'expérience d'années à manier les matériaux qui permet à la marque de proposer des intérieurs sur-mesure.

Dans l'atelier bois, aucun robot ne peut atteindre le niveau de perfection et de contrôle des artisans.

Cette pièce renferme certainement la plus belle collection de bois rares de l'industrie automobile.

L’école de la patience

Après avoir pris connaissance des volontés du client, l’artisan va donc choisir, sur une de ces étagères, les feuilles de bois de la teinte et de l’essence voulue. Mais ce choix ne se limite pas à reconnaître la bonne couleur de bois. “Chaque artisan va venir vérifier visuellement chaque feuille qui ornera l’habitacle de la Bentley qu’il est en train de concevoir.” explique notre guide. Il faut s’assurer que les veines de bois correspondent entre-elles par exemple. Impensable de se retrouver avec une porte et un tableau de bord avec des veines de bois qui ne se marieraient pas à la perfection. L’artisan va venir détailler longuement chaque feuille de bois avant de les faire défiler visuellement comme les pages d’un livre, pour s’assurer de leur concordance. Chez Bentley, il faut avoir l'œil.

Certaines de ces essences de bois sont extrêmement rares et chères. Ce bois s'achète aux enchères.

Les étapes de travail du bois.

Avant de se retrouver dans l’habitacle d’une Flying Spur ou d’un Bentayga, le bois sélectionné va subir toute une série de traitements. L'élément qu’on va retrouver sur la planche de bord est composé de plusieurs éléments. Une presse est utilisée pour combiner une plaque d’aluminium et le placage décoratif. Le pack est pressé à 145°C avec une pression de 200 bars pendant cinq minutes. Le placage en bois sera poncé une première fois. L’objectif est d’obtenir une finition abrasive qui permettra au laquage ultérieur de bien accrocher. La laque est alors appliquée pour former une surface très brillante. C’est un robot qui va appliquer pas moins de cinq couches de laque polyester, sur une épaisseur de 0,8mm. Cette laque est ensuite poncée par un artisan, à la main. Debout devant son établi, celui-ci applique un geste précis, effectué des milliers de fois, pour enlever environ 0,2 mm de cette surface. La technique reste inchangée depuis des décennies.

Sur ces étagères, les plus beaux bois du monde sont réunis, souvent âgés de plus de 200 ans.

“Le savoir-faire de nos artisans est unique. Aucun robot ne serait capable d’effectuer ces tâches qui demandent de la précision, de l’exactitude mais aussi beaucoup de sensibilité.” nous explique un des employés. La pièce est polie une première fois pour obtenir une finition brillante, toujours à la main. Les bords et les ouvertures sont usinés à l'aide d'une machine CNC à cinq axes, alors qu’on applique une peinture aux extrémités pour protéger la pièce. "Chaque pièce produite sera ensuite inspectée avant d’être assemblée à blanc pour s’assurer que la finition est parfaite." La démonstration du savoir-faire Bentley est époustouflante. Avant de quitter l’atelier, un jeune armé d’un burin nous invite à le suivre sur son poste de travail. Après s’être saisi de plusieurs feuilles de bois au hasard, il réalise un assemblage à blanc de ces petits morceaux avec de minuscules baguettes de bois plus clair. Deux morceaux de ruban adhésif, trois coups de burin et le jeune homme nous a assemblé en une poignée de secondes une magnifique pièce destinée à la console centrale d’une Bentley, avec une précision chirurgicale. Aucun doute, il pourrait réaliser cette tâche les yeux fermés.

L'atelier cuir

Il est temps de terminer la visite par un autre atelier historique de la marque, le cuir. Là aussi, on retrouve ce contraste entre extrême modernité et méthodes artisanales ancestrales. “Depuis le rachat par Volkswagen, tout a changé, mais rien n’a changé.” nous précise le responsable de l’atelier. “Les peaux proviennent d'Europe du Nord, où le climat tempéré et l'absence de clôtures en fil de fer barbelé permettent d’obtenir des peaux exemptes d’imperfections, d’égratignures ou de piqûres d’insectes. Néanmoins, chaque peau est vérifiée. Le technicien va choisir parmi les milliers de peaux entreposées celle qui va recouvrir l’habitacle de votre Bentley." Ensuite, avec un feutre, il va marquer à la main chaque petite imperfection sur la peau. Là aussi la méthode est la même depuis toujours. "La différence c’est qu’aujourd’hui on va venir scanner chacune des peaux. Sur l’écran géant, la machine va établir un patron de découpage de chaque peau, pour optimiser la découpe en fonction des parties inutilisables et du profil de chaque pièce.”

Chaque petit accroc, imperfection ou piqure est entourée.

A elle seule, l'étape des surpiqures peut prendre 40 heures par voiture.

Tout est possible

C’est peut-être ici qu’on prend conscience de toutes les possibilités de personnalisation de chaque Bentley. Le choix de couleurs semble infini, tout comme les options de personnalisation. Cousus, façonnés et finis entièrement à la main, les sièges, portes et autres accessoires en cuir surclassent n’importe quelle voiture de série ou meuble haut de gamme. Ici le temps ne compte pas. “Les coutures contrastées à elles seules prennent entre 20 et 40 heures par voiture.” précise le directeur de l’usine. “Nous n’avons pas prévu de remplacer le cuir par une matière synthétique. La première raison c’est que nos clients ne le demandent pas. La seconde raison c’est que la fabrication de “faux cuir” offre souvent un bilan écologique moins bon que le cuir."

Chaque peau est soigneusement choisie par l'artisan qui la découpera.

Chaque artisan veille à ce qu'aucun pli ne vienne gâcher la fête.

Chaque artisan de Bentley apporte un savoir-faire unique à la marque.

Il faut préciser que les animaux ne sont pas élevés pour faire du cuir. L’utilisation des peaux intervient en bout de chaîne quand l’animal est déjà mort. On a revu nos méthodes de traitement du cuir. Bentley vise la neutralité carbone dans quelques années, cela passe aussi par une utilisation limitée des produits chimiques.” Aujourd’hui, un intérieur de Flying Spur ou de Continental réclame entre 15 et 18 peaux de vaches et jusqu’a 21 pour le Bentayga. Au moment de quitter l’usine, un ouvrier apporte la dernière touche à un siège de berline commandé via le service de personnalisation Mulliner. Prix de l’option cuir pour cet habitacle sur mesure, 81 000€. Devant mon interrogation, le responsable de la communication poursuit: "Évidemment nous en vendons tous les jours. Nombreux sont les clients qui doublent le prix de base du modèle avec leurs options.” La vénérable marque anglaise ne s’est jamais aussi bien porté.