Dieselgate. Bientôt des dommages et intérêts pour les victimes des « fenêtres thermiques »
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Dieselgate. Bientôt des dommages et intérêts pour les victimes des « fenêtres thermiques »

La Cour de justice de l'Union européenne vient de se prononcer au sujet des « fenêtres thermiques » dont Mercedes-Benz a équipé certains de ses véhicules diesel pour agir sur les dispositifs de limitation des émissions polluantes. Retour sur cette décision qui s'apprête à faire des émules en Europe.

Par Gatien-Hugo Riposseau
Publié le Mis à jour le

Mercedes-Benz a équipé certains de ses véhicules diesel d'un logiciel appelé « fenêtre thermique » agissant sur les dispositifs de limitation des émissions polluantes. La Cour de justice de l'Union européenne vient de reconnaître un droit à indemnisation pour les clients de la marque à l'étoile.

L'argus

Renault, Nissan, l'ancien groupe FCA (Fiat Chrysler Automobiles) ou encore Ford sont soupçonnés d'avoir eu recours au procédé dit de la « fenêtre thermique », qui diminue l'efficacité des systèmes antipollution dans certaines conditions. Tous ces constructeurs pourraient ainsi être concernés par une récente jurisprudence de la Cour européenne épinglant Mercedes. Après Volkswagen, c'est en effet au tour de la marque à l'étoile de faire l'actualité dans le vaste scandale des moteurs Diesel truqués, plus communément appelé Dieselgate. Une affaire qui a contribué à précipiter la chute du gazole en Europe. La firme de Stuttgart et son homologue de Wolfsburg ne sont toutefois pas exactement accusées des mêmes choses. Ce qui est reproché à Mercedes, c'est d'avoir muni certains de ses modèles Diesel d'un logiciel appelé « fenêtre thermique », destiné à agir sur le traitement des rejets d'oxydes d'azote (NOx) lors de plages d'utilisation spécifiques. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a tranché mardi 21 mars 2023. Selon elle, l’acheteur d’un véhicule équipé de ce dispositif « bénéficie d’un droit à réparation de la part du constructeur automobile lorsque ledit dispositif a causé un dommage à cet acheteur ». Cette décision pourrait donner lieu à de nombreuses actions judiciaires un peu partout en Europe. 

Qu'est-ce qu'une « fenêtre thermique » ?

La technique dite des « fenêtres thermiques » est un procédé permettant d'influer sur la purification des gaz d’échappement des véhicules diesel, dans certaines conditions d'utilisation. Concrètement, un logiciel coupe ou réduit l'efficacité de certains systèmes antipollution, comme la vanne EGR ou le catalyseur SCR, quand les températures sont trop basses ou trop hautes et au-dessus d’une certaine altitude. Résultat : à l'usage, les rejets d’oxydes d’azote (NOx) sont supérieurs aux émissions autorisées lors de certaines phases de conduite (« fenêtres de températures ») paramétrées dans le logiciel.

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Les « fenêtres thermiques » sont un moyen controversé de réduire l'efficacité des systèmes antipollution dans certaines conditions d'utilisation.

Mercedes

Les constructeurs se justifient généralement de ce choix en affirmant qu'il serait nécessaire pour préserver la fiabilité mécanique. Mais d'autres y voient davantage un moyen détourné de respecter les normes environnementales uniquement lors des phases de test imposées pour l'homologation des véhicules, puis d'y déroger lors d'une utilisation réelle. Mercedes-Benz, qui a fait usage de ce type de dispositif sur certains de ses véhicules diesel, se retrouve aujourd'hui dans le viseur de la justice avec l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le 21 mars 2023. Mais il n'est pas le premier constructeur à faire les frais de cette jurisprudence.

Une procédé déjà jugé illicite par la CJUE

Dans une décision du 14 juillet 2022, la CJUE avait déjà considéré ce type de dispositif comme illicite au sujet d'un Volkswagen Caddy 2.0 TDI équipé du très décrié moteur Diesel de type EA 189 de génération Euro 5, le quatre-cylindres à l'origine du Dieselgate. La Cour avait alors jugé qu'un tel dispositif ne garantissant le respect des valeurs limites d’émissions que lorsque la température extérieure se situe entre 15 et 33 °C et que l’altitude de circulation est inférieure à 1 000 m constituait un « dispositif d’invalidation » prohibé.
Le dossier qui a fait l'objet de la dernière décision du 21 mars 2023 concerne une Mercedes-Benz C 220 CDI de 2013 équipée d’un moteur Diesel de génération Euro 5. La juridiction de l'Union a donc réaffirmé le principe de l'interdiction des « fenêtres thermiques » dans le cadre de l'examen du dispositif équipant ce modèle de la firme de Stuttgart. En l'occurrence, l’efficacité de ses systèmes de contrôle des émissions était déjà réduite à une température extérieure supérieure à 0 °C.

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Le logiciel truqueur de Volkswagen a déjà été jugé illicite par la CJUE en juillet 2022.

La CJUE rappelle cependant que cette interdiction de principe connaît trois exceptions, dont une concerne le cas où « le besoin du dispositif se justifie en termes de protection du moteur contre des dégâts ou un accident et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule ». C'est cette exception qui a été invoquée par Mercedes-Benz, mais elle a été écartée car le constructeur allemand n'a pas su démontrer la nécessité d'employer un tel procédé pour éviter un tel péril sur cette ancienne Classe C

La consécration d'un droit à indemnisation en cas de préjudice

Si le caractère illicite des « fenêtres thermiques » était déjà acquis depuis l'année dernière, les conséquences de cette non-conformité du véhicule à la réglementation européenne sur les émissions polluantes sont affirmées de manière inédite par la Cour siègeant au Luxembourg. Car cette dernière vient de trancher une question qui faisait jusqu'alors débat sur la portée de ces règles environnementales et les intérêts qu'elles protègent. Au terme de sa décision du 21 mars 2023, la CJUE affirme que les normes européennes sur les émissions polluantes protègent non seulement les intérêts généraux, mais aussi ceux de l’acheteur d’un véhicule vis-à-vis du constructeur.

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La Cour du Luxembourg affirme que l'acheteur peut agir en indemnisation à l'encontre d'un constructeur qui aurait muni ses véhicules d'un logiciel visant à réduire la purification des gaz d’échappement.

Georges Cousseau

La Cour en déduit que cela permet à l'acheteur d'agir directement à l'encontre du fabricant qui aurait muni ses véhicules d'un logiciel visant à réduire la purification des gaz d’échappement. La CJUE rappelle cependant qu'une telle action est soumise à la démonstration d'un préjudice effectivement subi par le propriétaire du véhicule et qu'il appartient aux juridictions de chaque État européen d'apprécier au cas par cas l'existence et l'étendue des dommages allégués par les consommateurs. Mercedes-Benz a d'ailleurs déclaré dans un communiqué qu'il « restait à voir » comment les tribunaux nationaux interpréteraient l'arrêt de la justice européenne.

Des procès attendus en France ?

Selon le cabinet d'avocats allemand Goldenstein, spécialisé en droit de la consommation, cette décision pourrait en effet ouvrir la voie à une « vague de poursuites ». Le cabinet indique par ailleurs représenter à lui seul plus de 50 000 requérants dans ces dossiers de système antipollution et affirme que « plusieurs millions de personnes à travers l’Europe peuvent profiter de l’arrêt ». Et pour cause ! Comme le démontre le cas soumis à la Cour européenne, tous les propriétaires successifs d'une auto munie de ce type de logiciel peuvent agir, puisque le demandeur avait acheté sa voiture d'occasion en mars 2014. Sans compter que cette action est ouverte tant aux particuliers qu'aux professionnels, comme les entreprises à la tête de flottes de véhicules. 
Selon Mercedes-Benz, ses véhicules diesel qui ont fait l'objet d'un rappel officiel et reçu les mises à jour logicielles appropriées « peuvent être utilisés sans restriction ». Renault, Opel, Nissan ou encore Suzuki ont également organisé des opérations de retour en atelier pour rendre certains de leurs modèles conformes aux normes de rejets d'oxydes d'azote. Tous espèrent ainsi être à l'abri des foudres juridiques. Mais ces diverses actions correctives pourraient tout de même laisser subsister la possibilité d'une action indemnitaire. Car les juridictions des différents États sont libres dans l'appréciation des préjudices invoqués par les automobilistes lésés. Le tout est de démontrer l'existence d'un préjudice réellement subi, ce qui sera nécessairement plus simple pour ceux qui ont possédé la voiture avant la réalisation du correctif.

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Les tribunaux des États membres de l'Union européenne risquent d'être massivement saisis par les propriétaires des véhicules concernés pour obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

FOKUZA de Pixabay

En France, les propriétaires des véhicules concernés pourraient décider d'agir au civil en invoquant la garantie légale des vices cachés ou celle de conformité. Les préjudices indemnisables pourraient être de deux natures différentes :

  • moral, car le fait d'acquérir de bonne foi un véhicule dont on découvre ensuite que son utilisation a porté atteinte à l'environnement est pour le moins désagréable ; 
  • financier, car il est fort probable que cette affaire entraîne une moins-value des voitures concernées lors de leur revente.

Mais le délai de prescription de l'action de ces propriétaires est de seulement cinq ans à compter de la mise en circulation du véhicule. Pour contourner cette règle, il leur restera éventuellement la voie pénale avec le dépôt d'une plainte pour « tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal ». C'est d'ailleurs la voie choisie par les clients de Volkswagen, dont la mise en examen au titre de cette infraction vient d'être confirmée en France.

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Envoi en cours
Limousine Le 24/03/2023 - 09:30
Le préjudice sera assez difficile à démontrer. D’autant qu’en général ces dispositifs visaient au choix à contenir la consommation de carburant (+ de gazole = + de Co2 - de nox) et/ou à sauvegarder le moteur dans certaines conditions. En revanche pour les avocats…
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