Nous sommes en 1972. En France, Renault présente celle qui va révolutionner le marché des citadines, la R5, alors qu’on teste pour la première fois le « Turbotrain TGV ». De l’autre côté du Rhin, l’heure est déjà aux voitures sportives. Chez Porsche, la 911 se vend comme des petits pains (jusqu’en Californie), mais le constructeur a une ambition : en faire une vraie voiture de course, homologuée. Un cahier des charges qui oblige les ingénieurs à se pencher sur un problème majeur, le cruel manque d’équilibre de l'auto.
La 911 en plus rapide et plus efficace

C’était il y a cinquante ans. Porsche commençait le développement de la 911 Carrera RS 2.7. Qu’on l’appelle aujourd’hui « queue de canard », « RS » ou « 2.7 » n’a finalement que peu d’importance. Cette 911 était bien plus que cela. Premier modèle de série doté de spoilers à l’avant et à l’arrière, elle était également la voiture de production la plus rapide d’Allemagne lors de son arrivée en 1972. Cette voiture avait une mission, comme le racontent Tilman Brodbeck, Hermann Burst et Harm Lagaay, les pères fondateurs du mythe RS, qui nous accueillent avant cet essai. Spécialiste en aérodynamique, Tilman Brodbeck est l'un des inventeurs du becquet arrière de la 911 Carrera RS 2.7. Après avoir travaillé sur la première Volkswagen Golf et sur la Porsche 914, il se voit confier la mission d’améliorer la maniabilité et l’équilibre de la 911.
Une queue de canard entrée dans l’histoire
Sous la houlette de Peter Falk (non, pas celui qui roule en Peugeot 403 Cabriolet, mais celui qui était alors patron de la compétition Porsche), l'aérodynamicien collabore avec l’ingénieur Burst et le designer Lagaay. Profitant de l’expérience des 917 en compétition, les trois compères étudient la résistance de l’air, la portance et la façon dont la saleté se soulève au passage d’un véhicule avant de s’y coller. « Le principal problème de la 911 était sa portance, qui provoquait un comportement bien trop nerveux à grande vitesse. Le becquet arrière fut notre réponse », rapporte Tilman Brodbeck. Une quinzaine d’ingénieurs travaillent intensivement pendant des mois à partir de mai 1972 pour peaufiner non seulement l’aérodynamisme, mais également le poids, le châssis ou encore la motorisation. La 911 2.7 RS est née.


Succès foudroyant
5 octobre 1972. Le nouveau modèle est présenté, porte de Versailles, au Salon de l’automobile de Paris que l’on n’appelle pas encore Mondial. Lors de la conférence de presse, Porsche confirme prévoir l'assemblage de 500 unités de la 911 Carrera RS 2.7 pour des raisons d’homologation. C’était le nombre minimum d’exemplaires imposé par le règlement de course du Groupe 4 pour les « Special GT ». En se portant acquéreur d’une 2.7, le client Porsche achetait également un véhicule homologué pour la course. Mais cette RS s'impose rapidement comme la 911 que tout le monde attendait. Un mois après l’exposition parisienne, les 500 véhicules prévus ont déjà tous trouvé preneur. Finalement, Porsche, premier surpris de ce succès, ne ferme pas le robinet. Au total, 1 580 unités seront produites. Dans le détail, on compte 1 308 versions de tourisme, 55 exemplaires destinés à la compétition, 17 préséries et 200 versions dites légères. C’est avec l'une de ces dernières que nous allons débuter notre essai dans la région de Stuttgart.

L’essence même de la 911
Comparé à une 911 d’aujourd’hui, cette RS 2.7 paraît presque frêle, mais terriblement authentique. Comme une 911 dont on aurait conservé l’essentiel, des lignes inimitables, un profil unique et, pour cette version si chère aux collectionneurs, les indispensables spoilers avant et arrière. Dans cette livrée blanche assortie de vert et barrée des inscriptions latérales Carrera en vigueur, les jantes Fuchs sont également colorées. Alors que je détaille l’extérieur, je remarque que le spoiler avant est en fibres de verre. Le designer de l’époque, Harm Lagaay, me confie un dernier secret : « Quand nous avons étudié ce spoiler, il devait être embouti en acier. Mais il aurait fallu deux ans pour concevoir, industrialiser et mettre en service des presses sur la ligne de montage. Et nous ne les avions pas. Quand la direction nous a demandé de le faire en fibres, nous avons prévenu : ce serait beaucoup trop fragile, surtout à l’avant du véhicule. Le lendemain nous avions la réponse : “ Parfait, ça fera vendre de la pièce détachée ! ” ».
Mieux vaut anticiper les premiers freinages

Une fois ma signature apposée sur une décharge écrite en allemand, un technicien me tend les clés de la 911 RS 2.7 Lightweight (la plus légère). Comme pour me dissuader de tout projet inconsidéré, il me délivre les ultimes consignes : « On part tranquillement dans la circulation, le temps que la mécanique monte en température. On vous conseille de rouler les fenêtres ouvertes, il fait 40 degrés et il fera vite chaud dans l’habitacle. Dernière chose, anticipez un peu sur les premiers freinages. » Le garçon semble fébrile à l’idée de me laisser partir avec sa protégée. Mais la simple évocation de la cote actuelle de cette Porsche suffirait à responsabiliser n’importe quel inconscient. Je me glisse entre l’ouverture de porte et le siège bacquet d’époque. L'habitacle d'une 911 des années 1970 n’a rien de dépaysant. On retrouve les mêmes instruments aux mêmes places. Le dessin de la planche de bord, l’ambiance, tout est différent, mais rien n’a changé.
Le volant est trop bas, le siège trop haut…

L’intérieur de cette version légère a été réduit à l’essentiel. Notre exemplaire dispose de deux sièges bacquets plus enveloppants, que le client pouvait sélectionner lors de sa commande. Le combiné d’instrumentation propose l’essentiel, à savoir un gros compte-tours et quelques manomètres utiles sur une ancienne de cette valeur. Le réglage de la position de conduite se limite à avancer ou reculer le siège. Le volant est trop bas, le siège trop haut, mais l’ensemble surprend par son confort. Horloge, tapis et accoudoirs sont aux abonnés absents sur cette version RS Lightweight, prix à payer pour rester sous la tonne, avec un poids à vide de 960 kg. Spécificité Porsche, le démarrage se fait à gauche du volant de grand diamètre. Contact !
La RS se montre étonnamment docile
Le Flat-6 démarre au quart de tour, avant de se stabiliser dans un quasi-silence. Première surprise, si le son n’est pas commun, il n’est pas non plus envahissant. Une douceur confirmée par les premiers mètres parcourus. L’embrayage se révèle progressif, malgré une course de pédale très limitée. Mais ce n’est rien comparé à la pédale de droite, dont l’amplitude semble se limiter à deux ou trois centimètres. Le moteur souple permet de s’insérer sans problème dans les encombrements entourant Stuttgart en cette après-midi suffocante. Sans être une citadine moderne, cette 911 RS 2.7 se montre étonnamment à l’aise au milieu des bouchons. La sortie de périphérique arrive bientôt et déroule devant nous les jolies routes en lacets du Bade-Wurtemberg. Les choses sérieuses peuvent commencer.
À 5 500 tours, les poils se dressent sur vos bras…
« Le prix s’oublie, la qualité reste », disait Audiard. Après une poignée de kilomètres agrippé au volant quatre branches de cette Porsche, je trouve mes marques. Une grande ligne droite me permet de libérer enfin la mécanique. En troisième, l’aiguille du compte-tours dépasse les 4 500 tr/min. Les vocalises changent de registre pour adopter un timbre plus pressant et plus métallique. À 5 500 tours, les poils se dressent sur vos bras pour rester au garde-à-vous jusqu’à la zone rouge, au-delà des 7 000. S’il suffisait d’une sensation pour comprendre pourquoi cette 911 RS est devenue une légende, ce serait certainement celle-ci.




La reine de toutes les Porsche
Évidemment les esprits chagrins vous expliqueront que n’importe quelle Porsche moderne serait capable de vous coller au siège plus rapidement ou de passer plus vite en virage. C’est certain, mais sans cette RS de 1973, auraient-elles vu le jour ? D’une puissance modeste sur le papier, vu de 2022, ce moteur six cylindres à plat de 2.7 l à injection développé par Hans Mezger et Valentin Schäffer produisait tout de même 210 ch à 6 300 tr/min, tout en offrant 255 Nm de couple à 5 100 tr/min. Remettez ça dans le contexte de l’époque et repensez à la masse réduite de l’engin. Le simple exercice du 0 à 100 km/h parcouru en 5,8 s suffit à chiffrer le niveau de performance incroyable de l'auto. Seule la boîte de cet exemplaire se montre un poil accrocheuse, obligeant à bien décomposer le mouvement tout en ayant la jambe gauche trop tendue, position de conduite approximative oblige.
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Une incroyable modernité
Les kilomètres s'enchaînent, le rythme augmente et permet de prendre la pleine mesure de ce monument. La 911 RS 2.7 se montre diamétralement opposée à une 911 « normale » contemporaine. Évidemment plus puissante, elle apparaît surtout incroyablement plus équilibrée. Le travail sur l’aérodynamique se remarque dans les grandes courbes prises à vive allure. Oubliez toutes ces voitures anciennes que vous avez pu conduire dans votre vie, ici la direction se montre à la fois ferme, précise et suffisamment informative pour mettre en confiance. Certaines 911 précédentes donnaient souvent l’impression de manquer de poids à l’avant tout en portant un lourd sac à dos à l’arrière. Cette 911 RS 2.7 « légère », elle, mériterait seulement de freins plus mordants et endurants. En sortant de son habitacle pour échanger notre monture contre un exemplaire jaune en version classique, on se dit que nos trois ingénieurs ont effectivement réussi leur pari. Plus performante, plus efficace, plus facile, cette RS allait montrer la voie à suivre pour les cinquante années à venir. Un héritage toujours vivant.
Trouver une RS 2.7 aujourd’hui

Loin de nous l’idée de casser votre rêve, mais sachez-le, acquérir une Porsche 911 RS 2.7 Light imposera un certain sacrifice financier. Comptez entre 575 000 € pour un exemplaire en état moyen et jusqu’à 900 000 € pour un modèle en état concours. Une version Touring pourra se trouver aux alentours de 400 000 € et grimper jusqu’à 750 000 €. Le plus compliqué étant d’en trouver une vraie, dans un état correct, avec un historique limpide. Pour les autres, citons Tilman Brodbeck, qui nous a accueillis pour cet essai : « Il y a un peu de RS 2.7 dans toutes les 911 qui ont suivi. » Voilà qui laisse l'embarras du choix.
Fiche technique
Porsche 911 RS 2.7 Lightweight | |
DIMENSIONS | |
Longueur | 4,15 m |
Largeur | 1,78 m |
Hauteur | 1,32 m |
Pneus de série | 185/70 VR-15 (AV) - 215/70 VR-15 (AR) |
TECHNIQUE | |
Moteur | 6 cylindres à plat |
Cylindrée | 2 687 cm3 |
Puissance | 210 ch à 6 300 tr/min |
Couple | 255 Nm à 5 100 tr/min |
Transmission | aux roues arrière |
Boîte de vitesses | manuelle à 5 vitesses |
Poids à vide | 960 kg |
PERFORMANCES | |
0 à 100 km/h | 5,8 s |
Vitesse maxi | 245 km/h |
PRIX | |
Prix du neuf en 1973 | 115 000 francs* |
Prix en occasion en 2022 | 600 000 à 900 000 € |
* Indicatif
Des 2.7rs j'en ai eu plusieurs, comme des 3.3 turbo et ruf. Je peux vous dire que compte tenu du plaisir de conduire ou piloter, le prix actuel des 2.7rs est injustifié! Un vrai connaisseur pilote à moins d'être richissime ne paye pas ce prix pour la rs même lightweight...tant mieux si il y a de riches amateurs prêts à payer pour moi ce sont des pigeons.
Vous ne croyez pas que vous y allez un peu fort ? Vous, naturellement, êtes parfait, et ne commettez jamais aucun impair ?
La température d'huile tout simplement, les connaisseurs auront rectifié d'eux mêmes...