Industrie automobile. Préserver son patrimoine pour assurer son avenir 
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Industrie automobile. Préserver son patrimoine pour assurer son avenir 

Tribune. Pour Romain Grabowski, directeur du Salon Rétromobile, l’industrie automobile doit assurer son avenir et ne pas faire table rase du passé. Au contraire, il est même urgent d'accélérer la préservation du patrimoine motorisé roulant et le soutien aux métiers de la restauration.

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Romain Grabowski, directeur du Salon Rétromobile, est l'auteur de cette tribune autour de la « Conservation du patrimoine automobile ».

L'argus

La préservation des œuvres d'arts dites majeures (peinture, sculpture…) est une évidence pour tous depuis longtemps. En matière de bâti, si les œuvres architecturales les plus emblématiques, tels que les édifices religieux, connaissent la même attention, la Fondation du patrimoine, par exemple, ne néglige désormais aucun type de construction : anciens lavoirs, fontaines de village, etc. Leurs points communs ? Être les témoins de l'Histoire et refléter un passé, certes révolu, mais dont l'apprentissage et la connaissance demeurent les meilleures fondations d'avenir. De la même façon, l'automobile est aujourd'hui à la croisée des chemins. Et derrière quelques « monuments automobiles historiques » (marques prestigieuses ou véhicules de compétition avec palmarès) depuis longtemps préservés, c'est en fait tout un patrimoine motorisé roulant qu'il s'agit de conserver, de la plus populaire des citadines aux plus imposants des utilitaires, en passant évidemment par les deux-roues et toutes les voitures de luxe ou de sport qui véhiculent le rêve.

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Il est primordial de conserver le patrimoine motorisé roulant.

L'argus

Mise en valeur technique et esthétique de ces véhicules anciens, illustration des modes de vie d’époque, mais également véritable devoir de mémoire, la préservation du patrimoine automobile est aussi tout l'intérêt des constructeurs d’entretenir et sauvegarder leur patrimoine s'ils veulent maintenir la flamme auprès des générations futures : au-delà des choix techniques et esthétiques, on achète aussi un véhicule pour les valeurs qu’incarne la marque. Pour preuve : Citroën, Peugeot et Renault n’ont pas hésité, récemment, à ressortir des tiroirs un ancien logo pour rajeunir et réaffirmer le caractère de leur marque. Pour les constructeurs et plus globalement pour toute la filière automobile, si elle veut continuer à s’inscrire dans l’histoire, il y a donc urgence à préserver le patrimoine motorisé roulant. À préserver, mais aussi à exposer pour partager et transmettre, au travers de musées ou de Salons dédiés, d’événements sur circuit ou sur route, ou encore de rassemblements. Quels que soient le format, les dates ou les lieux, ces initiatives reconnues pour leur convivialité rassemblent systématiquement un très grand nombre de visiteurs, curieux, amateurs ou passionnés.

Conservation des véhicules d'époque : des filières métiers à reconstruire

D'hier à aujourd'hui, les métiers de l'entretien et de la réparation automobiles ont bien changé. Sur un véhicule moderne, le diagnostic est désormais assisté d'un ordinateur, et la pièce défaillante, bien souvent, est purement et simplement remplacée. Un constat identique ou presque en matière de tôlerie-carrosserie, avec des pièces en plastique ou en matériaux composites qu'il est généralement plus économique de remplacer que de réparer. Travailler sur des véhicules d'époque requiert des compétences totalement différentes. Plus la modernisation des véhicules s’accélère et plus le fossé s’accentue entre ces métiers qui n’ont plus que le nom de « mécanicien » en commun. La préservation de ces compétences bien spécifiques doit donc faire partie intégrante de la conservation du patrimoine roulant.

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La filière des métiers de la restauration automobile est à reconstruire.

CNVA

Encore présentes chez les mécaniciens et tôliers-carrossiers en fin de carrière, ces compétences se raréfient, et leur transmission doit faire l'objet d'une attention toute particulière : de la part des professionnels vers les plus jeunes générations, mais également par le renforcement d'une filière de formation dédiée aux métiers de mécanicien-réparateur et de tôliers véhicules historiques. Mobilians et la Fédération française des véhicules d’époque (FFVE) l’ont bien compris. C’est ainsi que huit centres de formation en France proposant les certificats de qualification professionnelle (CQP) « mécanicien-réparateur de véhicules anciens et historiques » et « tôlier véhicules anciens et historiques » ont vu le jour depuis septembre 2020. Ce dispositif ne doit pas faire oublier d’autres initiatives privées comme celle du Conservatoire national des véhicules anciens (CNVA).

Concrètement, la filière automobile d’époque requiert la formation d’une cinquantaine de personnes par an pour renouveler les départs en retraite. Sans compter la question des mono-exploitants, qui constituent une part non négligeable du secteur des garages restaurateurs et qui se retrouvent souvent en manque de repreneurs en fin de carrière. 

Patrimoine automobile : des métiers d'art à conserver

En France, on ne dénombre pas moins de 400 000 véhicules de collection (certificat d’immatriculation de collection, CIC) et autant de collectionneurs qui composent les 1 600 clubs auto et moto recensés en France. En ajoutant les véhicules anciens (restés en carte grise normale) et tous les youngtimers n'ayant pas encore atteint les 30 ans révolus (condition d’accès au CIC), plus d’un million de véhicules anciens seraient en circulation soit 2,5 % du parc roulant français. Au total, le marché des véhicules anciens en France est estimé à environ 4 milliards d'euros de chiffre d’affaires par an*. Mais, aux côtés de ce marché « de masse », des métiers d'art, reconnus aujourd'hui comme tels, sont également à perpétuer. Et notamment ceux hérités des grandes maisons de carrosserie de la première moitié du XXe siècle (Binder, Chapron Fernandez & Darrin, Figoni & Falaschi, Franay, Gangloff, Kellner, Labourdette, Letouneur & Marchand, Pourtout, Saoutchik, Vanvooren, Weymann…), dont les techniques et les gestes sont issus de la chaudronnerie et de la dinanderie.

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Pour faire tourner des véhicules comme cette Peugeot Type 8 de 1893, des mécaniciens habilités sont requis.

L'argus

De cette époque faste subsistent encore aujourd’hui quelques entreprises françaises regroupées sous le label « entreprises du patrimoine vivant » (EPV). Parmi elles, la société HH Services fondée il y a quarante ans à Strasbourg est un exemple qui doit en inspirer d’autres. Après divers chantiers de restauration pour les collectionneurs les plus exigeants du monde, dont la Cité de l’automobile de Mulhouse, son fondateur, Hubert Haberbusch s’est vu décerner le titre de « Maître d’art restaurateur de véhicules de collection » avant de passer le flambeau à un jeune repreneur désireux de perpétuer les mêmes gestes qu’il y a cent ans. 

De la même façon, grâce à des entreprises comme Touraine Radiateurs (refabrication et restauration de radiateurs de véhicules d’avant-guerre), fort heureusement, certains savoir-faire sont loin d’avoir disparu. Et ils se transmettent directement au sein des entreprises et auprès de ces professionnels, reconnus pour leur artisanat d'art, qui doivent donc être accompagnés en ce sens. Il serait dommage, en effet, de laisser s’éteindre ces métiers, alors même que la frange la plus prestigieuse du patrimoine automobile français est déjà partie à l’étranger, notamment aux États-Unis. Mais le parc restant est encore important, et c’est ainsi que la Fondation du Patrimoine a accompagné depuis 2008 une soixantaine de projets de restauration grâce au mécénat d’une entreprise elle aussi française : Motul. Bugatti type 28 (modèle unique) de la Cité de l’automobile de Mulhouse, Porsche 917 du musée des 24 Heures du Mans, ou encore Sigma Torpédo de l’aviateur Georges Guynemer – voiture qui sera prochainement de retour au château de Compiègne après une restauration exemplaire chez HH Services – figurent dans la liste des bénéficiaires.

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Le rétrofit est selon Romain Grabowski une idée pour préserver la filière automobile et le patrimoine roulant.

Matthieu Méheust - L'argus

C’est en ce sens que les savoir-faire artisanaux des carrossiers-restaurateurs ont été inscrits à l’inventaire du Patrimoine culturel immatériel (PCI) français en juillet 2021. Une initiative portée par la Fédération française des véhicules d’époque (FFVE), accompagnée par l'Institut national des métiers d’art (INMA), qui, souhaitons-le, donne le goût aux jeunes générations de perpétuer ces métiers d'art, au risque de les voir disparaître. Et tout un pan de l’histoire automobile mondiale en général, et française en particulier, avec eux. En d’autres termes, et contrairement aux idées reçues, la préservation et la restauration du patrimoine, automobile y compris, est une filière d’avenir, porteuse d’emplois et même capable de se réinventer, comme l’illustre par exemple le rétrofit (modernisation d’un véhicule ancien par le remplacement du groupe motopropulseur thermique par un moteur électrique).

Romain Grabowski
Directeur du Salon Rétromobile

* Enquête socio-économique sur les véhicules d’époque 2020/2021 conduite par la FIVA et la FFVE

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