La fin du thermique en 2035 est inéluctable selon le patron de Renault
Pour Luca de Meo, patron de Renault, l'autorisation accordée par l'UE aux carburants de synthèse ne doit pas donner l’illusion que les véhicules thermiques pourront perdurer à grande échelle après 2035. Leur sort en Europe est scellé selon lui, ce qui a été acté le 27 mars 2023 par la Commission.
Luca de Meo, patron de Renault et président de l'ACEA, tempère les débats sur les carburants synthétiques.
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Le vote final sur l’interdiction des véhicules neufs émettant du CO2 en 2035 dans l’UE s’annonçait comme une formalité. D'autant qu'il intervenait à la suite de l’accord trouvé après plus d’un an de débats et d’allers-retours parlementaires entre la Commission, le Parlement et le Conseil européens. Prévu pour le 28 février dernier, il fut finalement ajourné à cause de l’abstention annoncée de l’Allemagne. Cette dernière, suivie par l’Italie, la République tchèque, la Pologne et la Bulgarie, réclamait comme préalable au vote des précisions sur les carburants de synthèse (e-fuels) qui pourraient permettre à des voitures thermiques d’être commercialisées après 2035. Le texte prévoyait bien que des véhicules carburant exclusivement avec une essence synthétique « neutre en carbone » puissent toujours être mis sur le marché après 2035, mais il n'engageait pas suffisamment les institutions selon le Gouverment d'outre-Rhin. Ce 25 mars, l'Allemagne et la Commission européenne ont finalement trouvé un accord, dont les détails n'ont pas encore été rendus publics [ndlr. le texte a été voté par la Commission européenne le 27 mars]. Certains y voient là une ouverture vers la survie des voitures à essence sur le marché. Mais selon Luca de Meo, directeur général du groupe Renault et président de l'ACEA (Association des constructeurs européens d'automobiles), la mort du thermique en Europe est désormais inévitable. « Plus personne ne développe de moteur thermique entièrement nouveau en Europe. Tout l’argent va à la technologie de l’électrique ou de l’hydrogène », a-t-il rappelé au média européen Politico. Et d’ajouter : « Tous les fournisseurs des constructeurs cessent complètement d’investir dans les moteurs thermiques. On va voir arriver la vague. »
Une transformation géante déjà engagée
Avant même la proposition formelle de la Commission européenne d’interdire la vente de voitures essence et diesel neuves en 2035, émise en juillet 2022, de nombreux constructeurs sentant le vent tourner avaient entamé leur électrification massive. Ce mouvement s’est évidemment amplifié et accéléré au cours de l’année passée. Nombreuses sont les marques à avoir annoncé vouloir passer au tout-électrique en Europe avant même 2035. C’est le cas de toutes les firmes du groupe Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, Alfa Romeo, Jeep…), de Mercedes et de plusieurs filiales du groupe Volkswagen (Audi, Cupra, Bentley) entre autres. Le constructeur français Renault, dans une formulation moins catégorique, a indiqué qu’il serait « prêt à » proposer une gamme sans moteur thermique en 2030. Cette transition a un coût, et pas des moindres. Les investissements prévus se chiffrent par exemple à 73 milliards d’euros entre 2020 et 2025 pour le groupe Volkswagen (qui éponge encore les milliards d’euros d’amendes du Dieselgate) et à 30 milliards d’euros chez Stellantis entre 2021 et 2025.
Ces dépenses se traduisent par la transformation physique des sites industriels de ces entreprises, par la construction de nouvelles usines, par des évolutions de personnel et par le changement de tout l’écosystème qui gravite autour, de l’ingénierie aux partenaires en passant par les chaînes d’approvisionnement. Si les constructeurs n’ont pas attendu la promulgation définitive du futur règlement, c’est parce que les travaux nécessaires à son respect prennent du temps. Le cycle commercial d’une voiture dure environ six ans et, avant même la sortie d’un modèle, des idées sur celui qui le remplacera sont déjà étudiées. Autrement dit, les constructeurs entament aujourd’hui les travaux préliminaires au développement des voitures qui seront lancées au début des années 2030. Prendre le risque que celles-ci soient interdites à la vente peu de temps après leur commercialisation est visiblement inenvisageable.
Avant 2035, des étapes déjà ambitieuses
Même si une voie s'ouvre pour la survie du thermique après l’échéance de 2035, cette dernière ne fait pas oublier aux constructeurs la trajectoire imposée d’ici là. Le texte européen prévoit que les émissions de CO2 à l’échappement des voitures neuves diminuent de 55 % à l'horizon 2030 par rapport à la moyenne de gamme imposée pour 2021. La pente est donc plus raide qu’avec la réglementation actuelle, qui prévoit 37,5 % de baisse des émissions de CO2 sur cette période. Le taux imposé pour 2021 (pondéré selon la masse de la flotte) était de 95 g/km d'après l’ancien cycle d’homologation NEDC, plus « optimiste » que l’actuel WLTP. Au seul niveau de la France, la loi climat prévoit que les voitures neuves émettant plus de 95 g/km de CO2 NEDC ou 123 g/km WLTP soient presque interdites dès 2030 puisqu’elles ne pourront plus représenter que 5 % des ventes annuelles. Avant cela encore, la norme environnementale Euro 7 théoriquement prévue pour 2025 s’annonce elle aussi très restrictive pour les moteurs thermiques et coûteuse (1 milliard d'euros pour le groupe Renault). En raison de l’avancement technologique, des délais à respecter et de l’échelle du marché, seule la multiplication rapide des voitures électriques et (dans une moindre mesure) des hybrides rechargeables peut permettre d’atteindre les objectifs réglementaires. Tous ces projets ne se fondant que sur les rejets à l’échappement, la pollution et les émissions de CO2 annexes sont encore peu considérées. Les parlementaires européens prévoient bien de présenter une procédure d’analyse plus globale des rejets de CO2 des véhicules, mais pas avant 2025.
Les carburants de synthèse, un produit de luxe ?
Du côté européen, c’est avant tout pour l’aviation, les poids lourds et le transport maritime que l’on se dit favorable aux carburants de synthèse, au même titre que l’hydrogène. Toutefois, le projet de règlement automobile se veut technologiquement neutre et stipule bien que les carburants « neutres en CO2 » peuvent contribuer à atteindre l’objectif « zéro carbone » que l’UE s’est fixé pour 2050. Or, l’appellation « e-fuel » regroupe des carburants et procédés variés, et la notion de neutralité CO2 est sujette à bien des interprétations (zéro émission, captation à la production, compensation, achats de crédits carbone…). C’est là le nœud du problème soulevé par l’Allemagne. Certains constructeurs, à commencer par le groupe allemand Volkswagen via Porsche, développent activement certains types de carburants synthétiques. Markus Duesmann, P-DG d'Audi (autre filiale du groupe Volkswagen), prévient toutefois que ceux-ci « ne joueront pas un rôle significatif sur le segment des voitures particulières à moyen terme ». La pérennisation de ces carburants, seulement envisageable à petite échelle avec des coûts élevés pour l’instant, pourrait permettre la survie des supersportives sur le marché et, à plus long terme, celle des voitures de collection. Encore faut-il que les travaux en cours ne soient pas balayés par une définition de la neutralité carbone qu’ils ne respecteraient pas. Luca de Meo se dit néanmoins favorable au développement des carburants de synthèse, dans lesquels il voit « une opportunité ». « C’est une sorte de niche, mais on part toujours d’une niche », a-t-il souligné.