La voiture électrique est-elle écologique ? Une question de poids
La question qui titre cet article, malgré son apparente ingénuité, est au cœur des réflexions sur la transformation de l’automobile. L’agence nationale Ademe publie un avis sur l’impact écologique de la voiture électrique. Cet état des lieux n’est ni tout blanc ni tout noir, et pas forcément vert.
Les vertus écologiques des voitures électriques dépendent de leur poids selon l'Ademe.
Mercedes
L’agence environnementale Ademe, sous tutelle du ministère de la Transition écologique, profite de l’ouverture imminente du Mondial de Paris 2022 pour publier un avis sur l’impact écologique de la voiture électrique comprenant état des connaissances, comparaison avec le thermique et perspectives. L’institution demeure favorable à l’adoption massive de ce type de véhicule dans le but d’atteindre la neutralité carbone que la France et l’Union européenne se sont fixé comme objectif pour 2050. Mais elle souligne les conditions desquelles dépendent les bénéfices environnementaux de l’électrique et émet des réserves aussi importantes que surprenantes venant d’elle. Il faut dire que la publication de cet avis intervient en période de tensions internationales sur l’énergie, alors que le Gouvernement français appelle citoyens et entreprises à une réduction de leur consommation électrique. Le principal point mis en avant par l’Ademe est que les voitures électriques sont moins nocives que les thermiques pour l’environnement si elles demeurent légères, ce qui correspond selon elle à une batterie ne dépassant pas 60 kWh de capacité. Aujourd’hui, cela permet de parcourir un peu plus de 400 km sur une charge en cycle d’homologation WLTP ; moins en conditions réelles.
Le poids, éternel ennemi
Il est important de noter que l’analyse de l’Ademe se retreint à la France, où l’électricité est faiblement carbonée grâce à ses principaux processus de production (nucléaire, hydraulique…) et où d’importantes aides à l’achat font artificiellement baisser les prix des voitures électriques. Par ailleurs, l’éventuelle prise en compte des émissions liées aux carburants fossiles du puits au réservoir n’est pas précisée. Avant qu’une voiture électrique n'arrive sur le marché, sa production émet deux à trois fois plus de CO2 que celle de son équivalent thermique, d’après l’Agence, en raison des matériaux et processus de fabrication de sa batterie. Et « La batterie est un composant dont le poids, le prix et l’impact carbone de production augmentent avec la capacité de stockage », rappelle-t-elle.
Comparé à une berline compacte diesel, un modèle électrique de même segment doté d’une batterie de 60 kWh « rembourse sa dette carbone » au bout de 70 000 km environ. Une citadine électrique embarquant une batterie de 22 kWh y parvient avant 20 000 km, tandis qu’un SUV emportant 100 kWh doit rouler plus de 100 000 km, toujours comparé à une compacte diesel. Sur l’ensemble de sa durée de vie, une voiture électrique dont la batterie n’excède pas 60 kWh a un impact carbone deux à trois fois inférieur à celui d’une thermique d’après l’Ademe, qui dit aussi :
Avec une batterie de taille supérieure, l’intérêt environnemental par rapport à un véhicule thermique comparable n’est pas garanti.
L’électrique, un avantage économique ?
Au plan budgétaire, l’Ademe estime que, sur une durée de vie de 15 ans avec un kilométrage annuel de 12 500 km, un véhicule électrique compact avec batterie de 40 kWh revient 8 000 € moins cher que son équivalent essence, en tenant compte d’un prix d’achat égal d’environ 22 000 € (aides déduites) et de dépenses moindres en énergie, entretien et assurance. Le prix d’achat très supérieur d’une voiture électrique à batterie de 80 kWh inverse la tendance, celle-ci revenant à environ 60 000 € sur 15 ans et 187 500 km, contre moins de 50 000 € pour le modèle thermique. Le mode de recharge n’est pas précisé, or il a un fort impact sur le coût de l’électricité.
Une précision est à ajouter à ces échéances temporelles et kilométriques. Car si l’Ademe considère que la garantie de 8 ans généralement appliquée aux batteries assure entre 1 000 et 1 500 cycles de charge, soit entre 10 et 15 ans à parcourir 20 000 km/an sans changement d’accumulateur à prévoir, les conditions établies par les constructeurs sont souvent formulées différemment. Dans la plupart des cas, ceux-ci garantissent 70 % de capacité de la batterie au bout de 8 ans ou 160 000 km. Et l’Ademe indique : « Une batterie de véhicule électrique est considérée comme en “ fin de vie mobilité ” lorsque son vieillissement a réduit sa capacité de stockage initiale de 20 à 30 %. » L’accumulateur pourrait donc être considéré comme hors d’usage dans une voiture bien avant le terme de référence de l’Agence, donc avant que le passage à l’électrique ait présenté un avantage économique pour l’automobiliste.
Éloge de la lenteur
L’Ademe prône le choix de véhicules électriques compacts et légers dotés de batteries de moins de 60 kWh, mais aussi – recherche de sobriété énergétique oblige – l’adoption d’habitudes de recharge peu gourmandes en énergie. Recharger la nuit à domicile, voire sur son lieu de travail, sur des bornes d’une puissance inférieure à 7,4 kW est préconisé. « Recharger une batterie de 60 kWh en 2 minutes comme on refait le plein d’un véhicule thermique représenterait un appel de puissance de 1,8 MW électrique, soit l'équivalent de la puissance électrique moyenne appelée simultanément par 1 500 foyers », met en garde l’Agence. Aujourd’hui, les voitures électriques représentent seulement 1,5 % du parc automobile français, mais leur part de marché augmente rapidement (environ 12 % actuellement). L’Ademe plaide pour la mise en place d’un « réseau diffus » de bornes peu puissantes plutôt que pour l'installation de stations espacées proposant des appareils très performants. Ces derniers demandent par ailleurs un coût plus élevé au kilowattheure. « Généraliser la recharge à très forte puissance (jusqu’à 350 kW) au détriment du foisonnement de points de charge de puissance normale conduirait donc à rendre l’accès à l’électromobilité plus cher », prévient l’organisation.
Le « plan 100 000 bornes » annoncé par le Gouvernement pour fin 2021 a pris du retard. Fin juillet 2022, on dénombrait 66 960 bornes publiques en France, soit environ une pour 1 000 habitants, dont 91 % d’une puissance inférieure à 22 kW. Et si 90 % des propriétaires de véhicules électriques habitant en maison individuelle rechargent à domicile, ce taux tombe à 54 % pour ceux résidant en immeuble.
Des moyens de transport à alterner en fonction des besoins
L’Ademe reconnaît que se limiter à des véhicules électriques aux performances modestes, ou même à la production actuelle, « répond aux besoins du quotidien mais pas de manière satisfaisante aux nécessités de grands déplacements ». Elle estime que « la technologie des hybrides rechargeables peut être pertinente de manière transitoire, sous réserve que tous les trajets inférieurs à l'autonomie électrique du véhicule soient effectivement réalisés en mode électrique pur ». À plus long terme, l'Agence réclame un développement des alternatives à l’automobile, à commencer par le train, de concert avec des modes de vie et des habitudes requérant moins l’usage de la voiture (télétravail, tourisme local…), et le recours aux mobilités douces comme le vélo pour les petits trajets. La réponse, bien qu’indirecte, est donc tout aussi ingénue que la question : c’est en consommant moins que l’on rejettera moins.