Participer au Mans Classic n’est pas donné à tout le monde. Pour rouler sur le grand circuit sarthois, le même que lors des 24 Heures, de nombreux paramètres entrent en ligne de compte. Outre l'important budget réclamé, il faut un ou des pilotes licenciés et surtout un véhicule éligible, c'est-à-dire qui ait participé à la classique mancelle par le passé. Depuis 2019, cette idée d’engager une 4CV trotte dans la tête de Renault Classic. Pandémie mondiale et report en série de l'événement obligent, l’engagement de la « motte de beurre » sur la course n’avait pu avoir lieu… jusqu’à cette année 2022 ! Pour l'occasion, trois modèles étaient au départ : la n° 46, la n° 47 et la n° 48.
Dans les traces de la 4CV des années 1950
Pas d’anniversaire particulier autour du modèle, juste un parfait alignement des planètes qui a permis à Renault d’engager sa citadine… et à L’argus d’être convié à participer ! Pour former son équipage, déjà composé du talentueux Alain Serpaggi, Hugues Portron, le directeur de Renault Classic, souhaitait une présence féminine. Et comme notre rédaction compte l’une des rares journalistes licenciées, l'affaire était pliée !


Les équipes du patrimoine de la firme au losange, à la manœuvre sur ce projet, ont intégralement reconstruit une 4CV pour lui offrir sécurité et performance. La citadine a été mise au point par M. Serpaggi, qui compte de nombreuses participations en rallye et pas moins de cinq engagements aux 24 Heures du Mans dans les années 1960/1970. C’est donc avec Alain que j’ai réalisé mes premiers tours de roue au volant de la citadine, réplique de la 4CV engagée en 1950 au Mans. Après une rapide prise en main et un galop d’essai sur l’autoroute afin de découvrir le comportement du modèle à plus de 130 km/h, nous voilà de retour à Flins pour un petit débrief.


Alain m’assure que l’auto n’est pas piégeuse et « téléphone » avant de décrocher. Je le note dans un coin de ma tête, mais reste craintive face à cette petite bête qui louvoie à grande vitesse et se dandine dans les virages. La faute au moteur positionné à l'arrière ! Le prochain rendez-vous marquera mon saut dans le grand bain.
Une 4CV finalement facile à dompter
Jeudi 29 juin, le coup d’envoi du Mans Classic est donné ! Une fois achevé le parcours du combattant administratif (vérification des licences et de notre voiture, briefing pilote), l’heure est à la redécouverte (en statique) de notre monture, à l’installation des caméras dans la voiture et, pour moi, à une petite séance de couture afin d'apposer sur ma combinaison flambant neuve l’écusson du Mans Classic et celui de mon club « L’Écurie Automobile du Comminges », qui me soutient dans mes projets en lien avec la compétition automobile.


Vendredi 1er juillet. Il n’est que 9 h 00 du matin, mais la pression monte déjà… Or notre premier roulage n’est prévu qu’à 17 h 00 ! Je vais passer la journée la boule au ventre avec le stress de découvrir « en vrai » un circuit que je connais pourtant par cœur en vidéo et dompter ce petit bolide dont le dernier fait d’armes au Mans Classic n’est pas brillant. En 2018, une voiture engagée par un privé avait fini sur le toit !

À écouter les conseils des propriétaires de 4CV présents dans l'espace club près de notre stand, je me crispe un peu plus : ne change pas de cap trop rapidement sous peine de verser, n'accélère pas à pleine charge tout le temps sinon le moteur peut casser… Cette 4CV, si mignonne soit-elle, finit par me terroriser. C’est vrai qu’on est loin, très loin, du comportement de ma Caterham Seven ! Il va donc falloir réapprendre à piloter.
À quelques minutes du coup d’envoi des qualifications, je passe ma combinaison. Alain et toute l’équipe de Renault Classic sont d’une bienveillance à toute épreuve. Il n’y a bien que moi pour ne pas croire en moi ! La session est lancée. Au bout d’un gros quart d’heure, Alain rentre aux stands pour me céder le volant. L’installation est rapide, nous faisons la même taille ou presque. Il n’y a qu’à faire glisser le baquet sur la glissière et à fixer les harnais, et le tour est joué. Après quelques contrôles d’usage du moteur, je redémarre notre bolide. Du moins, je tente. Le stress et l'effervescence me font oublier qu’il faut tirer haut la poignée du démarreur (positionné près du frein à main) pour lancer la mécanique. Heureusement que Jean-Louis Pichafroy, le responsable technique de Renault Classic, veille au grain. Grâce à ses explications, le bloc se lance.

Je passe la première et me voilà partie dans la longue voie des stands limitée à 60 km/h… Je m’élance, deuxième, troisième, quatrième… Frein, troisième. C’est un peu crispée que j’aborde la chicane avant la Dunlop, et puis j'accélère. Arrivée au Tertre rouge je plonge dans l’inconnu. Me voilà dans la fameuse ligne droite des Hunaudières. Une portion mythique du tracé, où les concurrents qui m’entourent filent à vive allure. En quatrième, à 5 900 tr/min, je plafonne tout au plus à 135 km/h selon les infos du Coyote installé à bord (et jusqu'à 152,6 km/h pour la 4CV n° 48). Finalement, la 4CV se révèle beaucoup plus stable que sur autoroute. Mes appréhensions à haute vitesse se dissipent. Aux virages, je freine systématiquement tôt mais me rends rapidement compte que les tambours sont finalement plus endurants qu'il n'y paraît. Au prochain tour, je retarderai mes freinages et tenterai de passer plus vite dans les virages.

C’est finalement la gestion du trafic qui se révèle la tâche la plus ardue. Je passe le plus clair de mon temps à regarder dans les rétros pour ne pas me faire percuter par un concurrent plus rapide. Le delta de vitesse entre les premiers et les derniers du plateau est flagrant. Notre 4CV boucle les 13,626 km du circuit en 7:38 min (pour son meilleur tour) quand les Jaguar XK, Aston Martin DB3 et autres Mercedes 300 SL tournent environ 2 minutes plus vite ! De retour au stand, je suis satisfaite de mon premier roulage. Beaucoup de mes craintes se dissipent et les encouragements de l’équipe me redonnent confiance, comme le petit mot laissé par Hugues au scotch sur la planche de bord « Tranquille Géraldine, tout va bien :-) ». L’objectif est désormais de boucler la première course du samedi, qui se joue en partie de nuit !

Ma première nuit sur le circuit du Mans
Samedi 2 juillet. Le circuit fait le plein de spectateurs. Tous les parkings sont saturés de voitures de collection. Les visiteurs, pour certains costumés, donnent un charme supplémentaire à l'événement, où sont rassemblés plus de 8 000 véhicules. Au sein du circuit, les autos modernes n’ont pas le droit de cité.

C’est en ancienne qu’il faut se déplacer. Le public circule à bord de bus d'époque, tandis que les pilotes sont véhiculés grâce à des VW Combi mis à leur disposition par les organisateurs. Chez Renault, c’est un antique KZ de 1932 transformé en dépanneuse par l’inventif François qui nous sert de véhicule d’assistance. Affectueusement surnommé « Martin la dépanneuse », il assure le spectacle tout autant que les vrais-faux motards de la gendarmerie que l’on croise pendant leurs patrouilles !
Pour notre 4CV, le coup d’envoi des hostilités doit initialement démarrer à 21 h 30. Le retard accumulé au sein de la journée nous fera finalement partir sur les coups de 22 h 00 avec une luminosité entre chien et loup. Alain Serpaggi s’élance pour ce premier run, alors que la luminosité décline à vitesse grand V. Une chose est sûre désormais : mon relais se fera de nuit. Une grande première pour moi !


Le changement de pilote au stand s’effectue sans encombre, et me voilà partie à l’assaut de la piste sarthoise à la seule lueur de mes phares. La nuit, au Mans, il y a quelque chose de magique. Et c’est encore plus vrai une fois que l’on quitte le secteur du Tertre rouge et que l’on s’enfonce dans la forêt, dans la nuit noire. À fond dans ma 4CV, j’ai le temps d’imaginer ce que ressentent les pilotes de prototypes sur cette route bosselée. Et il y a de quoi être impressionnée de savoir que certains y ont dépassé les 400 km/h. La nuit, tout est différent. Les virages, éclairés à la lueur des lampadaires ou de quelques spots, vous sautent parfois au visage. Votre regard est souvent ébloui par les phares des concurrents les plus rapides. Plus qu’à n’importe quel autre moment, il faut redoubler de vigilance. Le risque de se faire percuter n’est jamais exclu.

Après 45 minutes de roulage, le drapeau à damiers nous est présenté dans la ligne droite. J’emprunte le tracé du circuit Bugatti avec la satisfaction d’avoir donné le meilleur de moi-même dans cette auto que j'appréhende encore beaucoup. Dans la tente, toute l’équipe (Christophe, Éric, François, Jean-Louis…) nous attend pour bichonner notre auto avant le prochain run qui doit avoir lieu moins de cinq heures plus tard.
Un dimanche de folie !

Dimanche 3 juillet. Tous les pilotes Renault sont en tenue. Il est 4 h 00 du matin. Notre mise en prégrille, initialement prévue à 4 h 30, est décalée de 30 minutes. Bonne nouvelle, nous devrions donc rouler avec le lever du soleil. Alain est une nouvelle fois au départ et assure comme à son habitude. Les deux autres 4CV, la n° 47 et la n° 48, sont également extrêmement bien placées. Depuis le début du week-end, nous sommes aux avant-postes dans le classement de l’indice de performance. C’est une course dans la course. Pour calculer les positions, on prend le classement final, auquel on ajoute un coefficient tenant compte de l’âge et de la cylindrée du véhicule. Le run au soleil levant est absolument grandiose. Là encore, le circuit du Mans révèle un nouveau visage. On recommence à voir des visiteurs aux abords du tracé. Preuve qu’une nouvelle (et chaude) journée s’annonce. L’épreuve se termine sans encombre avec une 4CV qui tourne comme une horloge !


Sur les coups de midi, l’ambiance est à la fête. Le public est en liesse puisque le départ des courses est donné façon « Le Mans », c'est-à-dire avec les voitures garées en épi d’un côté et les pilotes de l’autre. Notre fringant Alain, 83 ans tout de même, n’a rien perdu de sa fougue. Il s’élance vers notre 4CV et prend un départ parfait. Lui qui craignait que « la voiture ne démarre pas » a assuré le coup ! Malgré la chaleur et les kilomètres parcourus, la n° 46 n’aura jamais eu de coup de mou. Elle s’est montrée d’une fiabilité sans faille et avec un appétit d'oiseau : 8,5 l/100 km. À 5 € le litre de carburant sur le circuit, on est plutôt content de ne pas avoir un V8 sous le capot ! Finalement, seule une petite erreur de notre part (un arrêt au stand trop tardif) nous pénalise sur le podium de l’indice de performance. Nous n’occupons pas la deuxième position, mais la troisième. Saluons la très belle performance de la 4CV n° 47 et de son duo Patrick Henry-Julien Saunier, qui se hisse à la première place du classement. La n° 48 aura eu moins de chance sur la dernière course, victime d'un problème technique.


Une aventure, une équipe et des coéquipiers incroyables
Au terme de ces quatre jours, impossible de ne pas avoir le sourire et la satisfaction du travail accompli. La voiture est rentrée au stand en un seul morceau avec un moteur prêt à reprendre la piste dès 2023* ! Tous les pilotes chevronnés de l’équipe Renault Classic saluent les performances de ce petit bolide, qui finalement cache bien son jeu.
« C’est vrai que, sur le papier, faire Le Mans Classic avec ses 7 km de ligne droite dans une 4CV ce n’est pas très tentant. Mais en fait la voiture est tellement rigolote qu’on a pris beaucoup de plaisir » concède Julien Saunier, pilote de la n° 47 et vainqueur du Trophée Alpine Elf Rally 2021. Même satisfaction du côté de son coéquipier, le pilote de rallye Patrick Henry : « C’est une voiture très décalée et très sympa à conduire, surtout avec trois véhicules aux performances si proches. On s’est bien amusés à se doubler. »

L’équipage de la n° 48, qui roulait aussi avec une Alpine A110, ne tarit pas non plus d’éloges sur la petite populaire de Renault. « C’est une agréable surprise cette 4CV. On est parfois un peu sur la réserve pour ne pas glisser, mais elle est efficace et amusante », concède Christian Chambord. « On est tout le temps à fond, c’est un vrai jouet », assure quant à lui Jean-Pierre Prévot, prêt à remettre le couvert dès l’année prochaine. Le mot de la fin revient à Alain Serpaggi, qui nous a confié être « tout à fait partant pour reprendre le volant de cette fabuleuse voiture qui lui rappelle de très bons souvenirs ». Messieurs de Renault Classic, vous voilà prévenus !
* La prochaine édition du Mans Classic aura lieu du 29 juin au 2 juillet 2023.
Petite mais costaud ... ça vaut pour la "quatre pattes" comme pour Géraldine (-; Bravo à Renault Classic et à toute l'équipe, les pilotes comme les mécaniciens bien sûr !