Circuit du Castellet, par un matin d’hiver. Le soleil brille en silence. Sous la surface d’une apparente mer de tranquillité, sans éclat de voix, on s’active dans le box avec rapidité et précision. Techniciens, ingénieurs et directeurs tournent autour d’une voiture en partie désossée, dans une ronde comme chorégraphiée qui les emmène de la machine de course aux appareils de contrôle, aux caisses d’outils et de pièces détachées, à la voiture, et ainsi de suite. Depuis deux jours déjà, Peugeot soumet la 9X8 à ses premiers essais de durabilité.

Avec elle, le constructeur au lion fera son retour dans le championnat du monde d’endurance WEC, et du même coup aux 24 Heures du Mans. La question est de savoir si la prochaine participation de la marque à l’épreuve sarthoise aura lieu en 2022 ou 2023. C’est justement l’un des enjeux de ces essais sur la piste varoise. Une fois homologuée, la 9X8 devra conserver ses caractéristiques jusqu’en 2025. À observer de plus près les échanges de regards dans ce stand, l’effervescence est palpable.

Une voiture de course à forte personnalité
Les informations ont été analysées, certains réglages modifiés, quelques pièces remplacées et des réparations effectuées ; la Peugeot 9X8 est parée pour reprendre la piste. Maintenant rhabillée, elle a l’allure d’un lion prêt à bondir que ses designers lui ont conférée. Triple griffe lumineuse aux quatre coins, cockpit avancé, ailes anguleuses, longue prise d’air de toit évoquant une crinière, et poupe allongée au ras du sol dénuée d’aileron transversal lui donnent indéniablement une « gueule » unique. Le spectacle, c’est important. Et l’on se prend à rêver que les rivales de la 9X8, pas encore dévoilées, affichent toutes une apparence aussi soignée.

L’Écossais Paul di Resta, sacré champion de DTM en 2010 et pilote d’endurance depuis 2018, s’installe à bord. Il compte parmi les sept pilotes de l’écurie Peugeot Sport en WEC. La voiture s’ébroue et, après quelques calages (les démarrages à chaud demandent encore un peu de mise au point, nous dit-t-on), repart pour quelques tours. Le V6 central-arrière de 680 ch émet un bruit plein, rien de remarquable à haut régime, mais son grognement à chaque montée de rapport de la boîte séquentielle à sept vitesses lui donne du caractère. L’électro-moteur avant de 272 ch n’émet pas le sifflement habituel des voitures de course électriques. Le but de ces sessions est de mettre les différents composants de l’hypercar hybride à l’épreuve, de casser ce qui peut casser, et de noter tout ce qui peut être amélioré pour fiabiliser la voiture en vue d’une prochaine séance. La chasse au record du tour n’est, officiellement, pas au programme. Mais face au chrono la 9X8 se révèle déjà prometteuse, accrochant des temps proches de ceux des LMP2 de 2021 alors que son développement est loin d’être terminé. L'absence d'aileron arrière ne semble donc pas être un handicap ici.


Les impressions des pilotes
Pendant que di Resta tourne, Kevin Magnussen nous fait part de ses impressions. Le Danois, qui courait en F1 de 2014 à 2020 avant de rejoindre Cadillac en endurance aux États-Unis, fait aussi partie de l’équipe Peugeot. En 2021, il a pris part à ses premières 24H du Mans à bord d‘une LMP2 Oreca-Gibson de l'écurie High Class Racing, aux côtés de son père Jan Magnussen. « Je retrouve chez Peugeot une ambiance de travail très similaire à celle de la F1. Tout est très ouvert, et les retours des pilotes ont une grande influence sur le design de la voiture alors qu’en LMP2, il s’agit surtout de réglages. On sent que la 9X8 est plus lourde mais elle est équilibrée », développe-t-il. La classique mancelle a une double importance symbolique pour lui. « Tom Kristensen (Danois 9 fois vainqueur au Mans, NDLR) a rendu cette course populaire au Danemark, et mon père y a participé à plus de vingt reprises ! Il se pourrait que je l’affronte la prochaine fois », souligne-t-il. Chez Peugeot, Kevin Magnussen fait notamment équipe avec son compatriote Mikkel Jensen.


"Les retours des pilotes ont une grande influence sur le design de la voiture."
L’Américain Gustavo Menezes est aussi de la partie. Ce jeune prodige est arrivé au plus haut niveau en 2016, au sein de l’écurie d’endurance Alpine-Signatech, remportant avec ses coéquipiers les 24H du Mans et le championnat WEC en catégorie LMP2 pour sa première saison. Comme Magnussen, Menezes trouve que le surpoids des Hypercars, imposé par la réglementation, se ressent clairement au volant par rapport aux LMP2 plus légères de 100 kg. Mais tous deux semblent apprécier le comportement de la voiture, pas piégeux malgré sa configuration aérodynamique inhabituelle selon eux, et s’accordent aussi sur le design « cool » de la 9X8. Le Californien s’est récemment installé de ce côté-ci de l’Atlantique, entre autres pour travailler plus efficacement avec Peugeot.

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Loïc Duval repart au combat avec Peugeot
Deux pilotes français font également partie du projet : Jean-Eric Vergne et Loïc Duval. Ce dernier, présent au Castellet, retrouve Peugeot dix ans après avoir contribué à l’aventure 908 comme certains ingénieurs qu’il rejoint aujourd’hui. « La voiture est bien née. Je suis impressionné, je ne m’attendais pas à cela », nous confie-t-il au terme de son relais en piste, sans omettre qu’il reste encore du travail. « C’était une très bonne séance d’essais, qui nous emmène sur le bon chemin », dit-il.

Duval fit partie de l’équipage victorieux des 24H du Mans en 2013 avec Audi, constructeur pour lequel il roula durant plusieurs années. L’ambiance de travail chez Peugeot change de celle de la marque aux anneaux selon lui. « Ce sont clairement deux approches différentes. Ce sont aussi deux époques différentes. Chez Audi le budget paraissait sans limite, comme la taille de l’équipe. Après trois ans, il m’arrivait encore de ne pas connaître le nom de certaines personnes avec lesquelles je travaillais. Déjà à l'époque de la 908 on voyait que le budget d'Audi était énorme mais sur le plan sportif nous étions proches, nous avions la capacité d’être compétitifs et cet héritage perdure chez Peugeot Sport. Je retrouve cette combinaison qui me semble idéale, celle d'avoir toute la puissance d'un constructeur avec une équipe plus resserrée. Chez Peugeot, c’est comme un commando. Nous allons au combat avec une petite armée dans laquelle tout le monde se connaît », évoque-t-il. Et de souligner que ces quelques jours au Castellet servent aussi à souder l’équipe en la réunissant presque au complet pour la première fois.
"Chez Peugeot, c’est comme un commando. Nous allons au combat avec une petite armée dans laquelle tout le monde se connaît."

À quand Le Mans ?
Les essais en cours servent autant à confirmer les performances obtenues par simulation informatique, notamment en ce qui concerne l’aérodynamique, qu’à atteindre le niveau de fiabilité voulu pour s’engager en WEC. Une participation au championnat en 2022 est prévue mais au moins une autre séance de tests doit être menée avant que Peugeot décide de la date de son retour au Mans. Les prochaines 24 Heures se tiendront les 11 et 12 juin 2022. Les délais semblent courts pour permettre à Peugeot d’homologuer pour quatre ans une voiture performante et fiable, même si une surprise n’est pas à exclure. Le suspense prendra fin à l'annonce de la liste des engagés, attendue pour fin février ou début mars.

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