Renault Twingo. L’histoire de la citadine à travers ses multiples maquettes
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Renault Twingo. L’histoire de la citadine à travers ses multiples maquettes

La Twingo a 30 ans ! Si l’on se souvient du succès rencontré par la citadine dès sa présentation en octobre 1992, on sait moins qu’il a fallu plus de dix ans aux équipes Renault pour mettre au point le concept. Retour sur la genèse du modèle avec Patrick le Quément, l’ancien directeur du design.

Publié le Mis à jour le

La rédaction de L'argus a convié Patrick le Quément, directeur du design Renault de 1988 à 2009, pour une série d'interviews exclusives autour de la Twingo.

L'argus

À l’occasion du trentième anniversaire de la Twingo, la rédaction de L’argus a vu les choses en grand ! Pour vous raconter l’histoire de la citadine à succès, nous avons convié au sein de nos locaux l’un des artisans fondateurs du projet : Patrick le Quément. Il fallait trouver un décor à la mesure de notre invité exceptionnel. Nous avons donc eu l’idée, un peu folle, de faire rentrer une Twingo dans nos locaux ! C’est dans ce cadre atypique que le directeur du design Renault de 1988 à 2009 est revenu sur la genèse du programme baptisé en interne W60 puis X-06. L’histoire commence dans les années 1970…

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La Twingo a été présentée en 1992 avec quatre coloris.

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Des dizaines de maquettes

À l’époque, Patrick le Quément ne fait pas encore partie des effectifs de Renault. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tenté sa chance. Il nous confie « avoir postulé onze fois » pour intégrer les équipes du design. Il sera finalement recruté en 1987 par Raymond Lévy, le patron de la marque. Ensemble, ils construiront l’un des plus beaux chapitres de l’histoire du constructeur au losange. Bien avant l’arrivée de Patrick le Quément, les équipes Renault travaillent déjà à la succession des R4 et R5. Au début des années 1970, l’idée est donc de trouver une remplaçante commune qui surfera sur le même succès. « Cela n’était clairement pas possible », explique avec le recul notre interlocuteur. Dès 1975, plusieurs dizaines de croquis voient le jour avec la naissance du projet VBG, pour « Véhicule Bas de Gamme ». Pas très glamour comme nom de code. Ces projets sont réalisés à la fois en interne et en externe. « Les consultants extérieurs n’avaient parfois jamais touché à l’automobile, cassant toutes les règles en dépit du bon sens. Mais ils parvenaient à avoir des idées tout à fait remarquables », concède Patrick le Quément. 

Un cahier des charges compliqué 

L’ancien directeur du design industriel explique qu’il y a eu « plusieurs feuilles de route ». Les designers ont ainsi imaginé « des petites citadines, plutôt accueillantes, dans un certain sens amicales », mais aussi « des véhicules plutôt utilitaires, fonctionnels, avec des formes assez rudimentaires ». Patrick le Quément, qui a pourtant fait ses armes dans le groupe Volkswagen (VW, Audi) avant d’arriver chez Renault, avoue n’avoir jamais eu connaissance d’autant de projets dans une entreprise. « C'était extraordinaire », explique-t-il, ajoutant qu’en réalité il était « extrêmement difficile, voire impossible de répondre à l'ensemble des demandes qui avaient été formulées » dans le cahier des charges. Malgré de bonnes idées, les projets Z, X44, X45 ou encore X49 ne verront jamais le jour. La raison ? Si les véhicules répondaient bien à une cible, elle n’était pas assez large pour viser la rentabilité. Au regard de son bilan économique, Renault ne pouvait se permettre de prendre ce risque. 

Le projet W60 intéresse 

Au milieu des années 1980, soit dix ans après le coup d’envoi du programme VBG, deux maquettes répondant au nom de code W60 suscitent l'intérêt du patron de l’époque, Georges Besse. L’une a été réalisée en externe par Marcello Gandini. L’autre est l'œuvre d’un jeune designer interne : Jean-Pierre Ploué. « La première était une voiture avec un nez allongé. Elle ressemblait un peu à un tapir », rapporte Patrick le Quément. En outre, dit-il, le modèle « était disproportionné » et l’on ne voyait pas son « potentiel d’habitabilité ». Si le directeur du design industriel jugea cette auto totalement inadaptée, la seconde à l’inverse lui parut « beaucoup plus intéressante » avec sa carrosserie monocorps.

Pour nous, designers, cette idée de monocorps représentait la voiture de l'avenir. C’était la formule magique !

« Pour nous, designers, cette idée de monocorps représentait la voiture de l'avenir. C’était la formule magique ! » explique Patrick le Quément, « persuadé » que l'Espace – en cours de développement simultanément chez Matra – a donné des idées aux architectes du Losange. Mais, là encore, les finances de Renault mettent un coup d’arrêt aux développements. Les deux modèles sont « mis en boîte » et délocalisés dans un hangar des Yvelines « pour être à la fois oubliés, mais néanmoins disponibles », affirme notre interlocuteur.

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Le projet W60 de Marcello Gandini.

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La maquette de la W60 exhumée par Patrick le Quément.

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De la maquette W60…

Patrick le Quément rejoint les équipes de Renault en octobre 1987, débauché par Raymond Lévy qui lui confie dans entretien préliminaire « ne rien connaître au design ». « Je vous embauche pour remettre de la créativité dans les concepts Renault à venir » lui dit le patron, lui offrant carte blanche. Nommé directeur du design le 1er janvier 1988, Patrick le Quément succède à Gaston Juchet à qui l’on doit notamment les R14, R16 et autre R30. À son arrivée, il reçoit des mains de son prédécesseur deux clés correspondant aux maquettes W60. « Vous devriez y jeter un coup d'œil », lui glisse Gaston. Lorsqu’il découvre le projet de Jean-Pierre Ploué, réalisé sous la houlette du designer Jean-François Venet, le nouveau directeur du design se dit qu’elle a « un potentiel fabuleux ».

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La maquette W60 au côté de la X06 finalisée.

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Il contacte alors le directeur du produit, Jacques Cheinisse, avec l’idée de soumettre cette maquette au président pour lui demander « l’autorisation de reprendre l’étude », confie notre interlocuteur. Raymond Lévy donne son feu vert et constitue alors une petite équipe « avec de brillants ingénieurs ». C’est à partir de là que le projet W60 évolue. « Il fallait lui donner un peu de corps, explique le directeur du design, car cette maquette avait ce petit défaut de la rapprocher du monde des voitures sans permis. Il fallait qu'elle respire. » La W60 de Ploué gagne alors en hauteur et en largeur. « L’une des faiblesses des architectures Renault, c’était ces roues “ beaucoup trop intériorisées ” », précise notre invité.  

… au projet X-06 

Le modèle commence à prendre forme, mais il n’a pas encore la bouille qu’on lui connaît. Celle-ci a d’ailleurs donné du fil à retordre aux équipes du design : elles n’arrivaient pas à trouver « quelque chose de magique » alors que l’échéance de la seconde présentation du projet au patron arrivait à grands pas. Patrick le Quément, qui dit avoir « commencé à développer une certaine anxiété » à l’approche de la date, a fait ce qu’il s’était toujours interdit de faire. « J'ai réalisé un petit croquis qui montrait ce qui allait devenir la Twingo avec un conducteur très souriant et la voiture qui souriait aussi. C'est comme ça que cette thématique du sourire, de la voiture un peu espiègle, tendre avec de l'humour, est arrivée », raconte-t-il.

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Dans ce cœur de croquis réalisé par Gernot Bracht, on trouve au centre une Twingo souriante.

Gernot Bracht

Les équipes ne tergiversent pas et se lancent alors dans la réalisation de cette face. Le jour J de la présentation au comité de direction arrive. Bien que le bilan économique de Renault se soit amélioré, l'ensemble des personnes autour de la table n’imagine pas à ce moment-là donner suite au projet, nous explique Patrick le Quément. Vient le moment de débâcher, et il lance : « La maquette sourit au président, et le président sourit à la maquette. »

La maquette sourit au président, et le président sourit à la maquette.

Puis il explique à Raymond Lévy que « ce n’est pas une voiture, c'est comme un animal de compagnie. D’ailleurs le soir, quand on rentre chez soi, s'il pleut ou s'il fait froid, on ne la laisse pas garée le long du trottoir. On la met sous le bras et on l’installe devant la cheminée ». Pour lui, la direction « a tout de suite compris ». Raymond Lévy a ensuite joué une stratégie très subtile. « Il n’a pas donné son approbation pour le projet, ajoute Patrick le Quément. Il nous a dit qu’il nous accordait plus de temps » dans l’unique but d’attendre que les résultats économiques de Renault soient de nouveau dans le vert. Au gré des réunions, le projet avance à vitesse grand V, mené de main de maître par Yves Dubreuil, le directeur technique du programme X-06. Au fait, pourquoi le nom de code change-t-il au passage ? Pour ne pas que les syndicats de l'usine de Billancourt, sur le point d'être fermée, aient connaissance de l'existance du projet. D'ailleurs, dans cette optique de sauvegarde du site, la CGT avait elle-même mis au point le projet Neutral (anagramme de Renault) auquel nous avons échappé.

   

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Ce croquis de Gernot Bracht représente le « design instinctif » avec Raymond Lévy et une maquette de X06.

Gernot Bracht

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Ce dessin d'Yves Dubreuil, l'un des pères de la Twingo, illustrant le non-arrêt du projet.

Patrick le Quément

La magie Twingo 

Malgré l’alchimie et les bonnes idées de l'équipe, un test de marché (ou test clinique) réalisé le 6 novembre 1988 va quelque peu faire retomber le soufflé. Le constructeur, qui présente en avant-première les maquettes et ses potentielles concurrentes, récolte en effet des avis très contrastés du public invité. Un quart des personnes vont adorer le véhicule, 25 % vont se montrer timorées, et la moitié va finalement rejeter le concept « de façon violente » dixit Patrick le Quément. Jamais les résultats d’un test de marché n'avaient été aussi mauvais à en croire les membres du comité de direction. Le véhicule est jugé comme « un jouet » ou « pas sérieux ». Notre invité confie s’être senti ce jour-là « extrêmement seul », mais pas anéanti pour autant.

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La Renault Maya (X06) lors du test clinique en novembre 1988.

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De son point de vue, jamais les résultats d’un test de marché n’avaient été aussi positifs. « Je n’ai jamais assisté à un test où les participants plébiscitaient à ce point une maquette » justifie-t-il. L’aventure ne s’est pas arrêtée pour autant. Les équipes de design ont été chargées de « reprendre l’avant pour lui donner “ un peu de sérieux ” » explique notre interlocuteur. Dans le même temps, Patrick le Quément entreprend d’écrire à son président. Il lui dit : « Le plus grand risque pour l’entreprise, c’est de ne pas prendre de risque. Je vous demande de choisir un design instinctif plutôt qu'un marketing extinctif. »

Je vous demande de choisir un design instinctif plutôt qu'un marketing extinctif. 

Son courrier fait mouche auprès de Raymond Lévy, qui lui répond : « Tout à fait d’accord avec vous, mon cher directeur. On y va ! » Le design définitif de la Twingo sera figé le 10 juillet 1989. « C’est comme ça que les choses se sont faites », ajoute Patrick le Quément. « Pour une fois, sur un projet, on peut dire que l'émotion a joué un rôle déterminant » conclut-il. Car, pour lui, c’est certainement le fait que Raymond Lévy soit arrivé récemment dans l’entreprise et qu’il n’ait pas « été pollué par des décennies dans l’industrie automobile » qui lui a permis d’être visionnaire.

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Les maquettes du projet X06 de Renault plus ou moins finalisées. Toutes n'ont pas leur capot ajouré.

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conventionde1976 Le 16/03/2023 - 13:20
Photo 14/19 : il ne s'agit pas des différents projets X44 mais d'une X44 avec certaines concurrentes de l'époque : Renault 4 et 5, Innocenti Mini et Fiat Panda.
conventionde1976 Le 16/03/2023 - 13:20
Photo 14/19 : il ne s'agit pas des différents projets X44 mais d'une X44 avec certaines concurrentes de l'époque : Renault 4 et 5, Innocenti Mini et Fiat Panda.
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