Sociétés d’autoroutes. Des mégaprofits en 2021 : 430 000 € par km !
L’autorité de tutelle des sociétés d’autoroutes (l'ART) vient de révéler le montant faramineux de leurs bénéfices 2021 : 3,9 milliards d’euros. Soit une moyenne de 430 000 € pour chacun des 9 117 km en service, mais avec de très fortes disparités selon les réseaux.
Les sociétés d'autoroutes ont engrangé des mégaprofits en 2021.
Vinci Autoroutes
Chaque 1er février, les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) sont autorisées à augmenter leurs tarifs. Le processus, encadré de près par l’État, varie selon les concessions en fonction de nombreux paramètres (inflation, montant des travaux réalisés l’an passé…) et autres marchandages (rabais réservés aux clients réguliers ou à ceux roulant en voiture électrique). Compte tenu de l’envolée des prix depuis plusieurs mois, les péages ont subi cette fois une hausse considérable (+ 4,75 %), déclenchant une fois de plus cette éternelle polémique : faut-il ou pas renationaliser les sociétés d’autoroutes, bradées en 2006 par le Gouvernement Villepin ? La réponse est pourtant toujours la même : une telle opération coûterait une véritable fortune à l’État (40 milliards d’euros évoqués) afin d’indemniser les sociétés d’autoroutes, tant elles ont bien ficelé leurs contrats.
Mieux vaut donc attendre patiemment la fin de chacune des concessions, qui reviendront dans le giron public au fur et à mesure à partir de :
- 2031 pour le réseau Sanef (autoroutes A1, A4…) ;
- 2032 pour Escota (A8, A50) ;
- 2033 pour SAPN (A13, A14) ;
- 2034 pour Cofiroute (A10 nord, A11) ;
- 2035 pour APRR (A5, A6) ;
- 2036 pour ASF (A7, A9, A10 sud…), etc.
À ces différentes dates, l’État récupérera l’exploitation de ces réseaux… sauf rebondissement.
Bénéfices en hausse de 47 % en un an
Ce constat d’impuissance est d’autant plus frustrant que les bénéfices engrangés par les SCA ont flambé ces dernières années pour deux grandes raisons. Fortement endettées (26,3 milliards d’euros, en recul de 4,8 % en 2021), elles ont logiquement bénéficié à plein de la chute des taux d’intérêt. Puis, cadeau tombé du ciel, elles ont nettement profité de la diminution de l’impôt sur les sociétés, passé de 28 % en 2020 à 26,5 % en 2021 (et 25 % prévus en 2022).
Ainsi, selon leur tutelle – l’Autorité de régulation des transports (ART) –, le bénéfice des autoroutiers a atteint 3,9 milliards d’euros en 2021, soit un bond de 47 % par rapport à une année 2020 certes très perturbée par la baisse du trafic due à la crise du Covid. Et + 11 % tout de même par rapport à 2019. Cette progression des bénéfices « va beaucoup plus vite » que prévu, dénonce le sénateur Vincent Delahaye, qui a conduit la commission d’enquête sur le secteur en 2020. Et pour cause : imaginez tout ce que l’État aurait pu faire pour les routes avec un tel magot.
3,3 milliards d’euros dans la poche des actionnaires
Hélas, puisque 15 des 17 sociétés d’autoroutes sont privées (et même 19 à ce jour avec les nouvelles A79 dans le Massif central et A355 contournant Strasbourg), ce sont 3,3 milliards d’euros qui ont filé dans la poche des différents actionnaires sous forme de dividendes. C’est le montant le plus élevé depuis 2016 (4,7 Md€). Bien évidemment, parmi ces 17 SCA, les résultats varient considérablement.
À elles seules, les sept concessions dites historiques, celles dotées des réseaux les plus longs et les plus stratégiques, raflent l’essentiel de la mise. Mais parmi les dix créées plus récemment, pour des tronçons uniques variant de 3,7 à 150 km seulement, certaines surprennent par leur bilan hors normes. Et la plupart gagnent déjà de l’argent malgré leur endettement important. Voyez le détail dans le tableau ci-dessous.
Bénéfices au kilomètre : le palmarès des sociétés d’autoroutes (SCA)
Sociétés d'autoroutes historiques | Principales autoroutes | Durées des concessions | Longueur du réseau (km) | Bénéfices 2021 (M€) | Bénéfices par km (€) |
Area | A41, A43, A49 | 1971-2036 | 409,4 | 253,3 | 618 710 |
Escota | A8, A50, A51 | 1957-2032 | 470,5 | 263,6 | 560 255 |
Cofiroute | A10, A11, A71 | 1970-2034* | 1 111 | 563,1 | 506 841 |
ASF | A7, A9, A10 | 1961-2036 | 2 724 | 1 355,6 | 497 651 |
ATMB | A40 | 1971-2050 | 126 | nc | 494 444** |
Sanef | A1, A4, A26 | 1963-2031 | 1 396,3 | 665,7 | 476 760 |
APRR | A5, A6, A71 | 1963-2035 | 1 873 | 789,3 | 421 410 |
SFTRF | A43 | 1993-2050 | 68 | NC | 388 235** |
SAPN | A13, A14, A29 | 1963-2033 | 372,4 | 121,5 | 326 262 |
Nouvelles sociétés d'autoroutes |
Principales autoroutes | Durées des concessions | Longueur du réseau (km) | Bénéfices 2021 (M€) | Bénéfices par km (€) |
Viaduc de Millau | A75 | 2001-2079 | 3,7 | 29,4 | 7 945 946 |
Adelac | A41 | 2005-2060 | 19,6 | 7,6 | 387 755 |
Arcour | A19 | 2005-2070 | 100,7 | 31,3 | 310 824 |
Atlandes | A63 | 2011-2051 | 104 | 23,2 | 223 077 |
Alis | A28 | 2001-2067 | 125,4 | 21,9 | 174 641 |
A'lienor | A65 | 2006-2066 | 150,1 | 5,6 | 37 308 |
Alicorne | A88 | 2008-2063 | 45 | – 8,7 | – 193 333 |
Albéa | A150 | 2011-2066 | 17,8 | – 9,9 | – 556 180 |
Aliaé | A79 | 2020-2068 | 88 | - | - |
Arcos | A355 | 2016-2070 | 24 | - | - |
* 2086 concernant le tunnel Duplex de l'A86.
** À titre de comparaison, résultat 2018 (dernière donnée communiquée).
Ce qu'il faut retenir
- Les affaires roulent pour les sociétés d’autoroutes. Selon les données collectées par l’ART, l’Autorité de régulation des transports, les 17 sociétés d’autoroutes ont cumulé quelque 4 milliards de bénéfices.
- Rapporté aux 9 117 km de ces 17 réseaux payants, cela signifie que chaque kilomètre leur fait gagner le montant stupéfiant de 430 000 € !
- À elles seules, les 7 sociétés « historiques » ont raflé l’essentiel du magot. Logique, puisqu’elles voient passer 96 % des 91,5 millions de véhicules par kilomètre comptabilisés en 2021.
- Et encore, manque le résultat des deux autoroutes restées dans le giron public (ATMB et SFTRF), qui desservent les tunnels du Mont-Blanc (A40) et du Fréjus (A43). Ces résultats ne sont plus communiqués depuis 2018. À titre indicatif, ils s’élevaient respectivement à 62,3 M€ et 26,4 M€ en 2018.
- Parmi les 8 sociétés concessionnaires créées ces vingt dernières années (non compris Aliaé et Arcos inaugurées fin 2021) pour exploiter des tronçons uniquement dédiés à un seul axe (règle imposée par Bruxelles), deux sont encore dans le rouge : Alicorne (A88) et Albéa (A150). Leur trafic est parmi les plus faibles (respectivement 6 176 et 9 211 véhicules par jour) avec celui d'A'lienor (7 307).
- Pour autant, la plupart de ces nouvelles sociétés dépendent des trois groupes historiques. Vinci exploite ainsi 55,1 % des 9 117 km avec ASF, Cofiroute, Escota, Arcour et Arcos ; Eiffage 26 % avec APRR, Area, A’lienor, Adelac et le viaduc de Millau ; Abertis 16,2 % avec Sanef et ASPN. Les miettes se partagent entre quatre petits réseaux et les deux de l’État.
- Côté résultats, le jackpot est remporté par la CEVM, qui exploite le viaduc de Millau sur l’A75 : elle a engrangé 29,4 millions d'euros de bénéfices pour seulement 3,7 km de voies, ce qui donne un ratio près de 8 M€ par kilomètre. C’est le record absolu !
- Sur le podium, on trouve derrière les réseaux Area (A41, A43…) et Escota (A8, A50…), avec plus de 500 000 € de bénéfices par kilomètre. Logique dans la mesure où ils remportent la palme du plus fort trafic : respectivement 35 043 et 41 560 véhicules par jour.
- Les quatre réseaux les plus longs (ASF, APRR, Cofiroute et Sanef) engrangent les plus gros bénéfices, dans une fourchette allant de 445 à 860 M€.