Citroën repart en croisière, selon le Monsieur Inde de Stellantis
Centrée sur l'Europe, Citroën mise sur l'international pour se développer grâce à la nouvelle famille C-Cubed. L'exercice est ambitieux mais Roland Bouchara, à la tête de Stellantis en Inde, est confiant dans la stratégie du groupe.
Roland Bouchara, P-DG et directeur général Inde-Stellantis
Révolu, le temps où l’image de Citroën rayonnait aux quatre coins de la planète. Tout le monde se souvient des célèbres expéditions menées par André Citroën en Afrique et en Chine dans les années 20 et 30. Depuis ces dernières décennies, le constructeur est principalement ancré sur le vieux-continent où il écoule 85 % de sa production. Carlos Tavares, patron du groupe Stellantis (PSA-FCA), souhaite rééquilibrer les ventes de la marque avec comme objectif 30 % à l’international grâce au lancement d’une famille de véhicules spécifiques dont la C3 est le premier rejeton. Outre l’Amérique du sud où elle permettra de renforcer ses positions, Citroën se lance dans une nouvelle croisière en Inde puis dans les pays de l’Asie du sud-est (Vietnam, Indonésie…), par ricochet.
L'argus. Pourquoi Citroën a choisi de se développer en Inde et quelle image ont les Indiens de la marque ?
Roland Bouchara, président-directeur général Inde-Stellantis. Citroën n’est pas encore très connu en Inde puisque l’on a commencé à communiquer que depuis 2018 et le lancement du C5 Aircross ne remonte qu’au début de l’année. Il faut quelques années pour qu’une marque ait une reconnaissance. Néanmoins, l’Inde représente 3,3 millions de voitures neuves et même si la progression de ce marché est ralentie par la crise du Covid, il sera l’un des rares marchés à progresser dans les prochaines années. Il atteindra 5 millions d’unités à l’horizon 2026-2027 et se situera dans le top 5 mondial.
Quelles sont les caractéristiques de ce marché ?
Malgré les 1,4 milliard d’habitants, il est équivalent à celui de l’Allemagne (3,5 millions) mais c’est un marché avec un gros potentiel de développement qu’il faut prendre maintenant car on remarque une montée organique de la classe moyenne. Maruti/Suzuki et Hyundai dominent avec 65 % des ventes, Tata représente 5 à 6 %, et les 26 autres marques s’échelonnent entre 1 et 4 %. 60 % du marché indien sont dominés par les véhicules de moins de 4 mètres, qui sont moins taxés, et 80 % de l’offre de Maruti et Hyundai concernent de petits véhicules qui se destinent à des primo-acheteurs.


Avec moins de 4 mètres de long, la nouvelle Citroën C3 entre-t-elle en concurrence frontale avec les constructeurs historiques ?
Certes, la C3 fait moins de 4 m de long et elle se positionne dans le cœur du volume. Nous la positionnons comme une berline avec des codes SUV car ces derniers représentent le segment (moins et plus de 4 mètres compris) qui progresse le plus en Inde avec 30 % des ventes. Ce qui explique que nous avons d’abord lancé le C5 Aircross qui est le porte-drapeau de la marque en Inde. Citroën ne pourra pas se battre avec un Maruti, nous visons les véhicules intermédiaires et supérieurs de ce segment qui progressent le plus. Les concurrents, et ils ne manquent pas, sont les Renault Kiger, Suzuki Baleno, le Tata Punch...
Vous dites que les 26 marques se tiennent dans un mouchoir de poche et stagnent malgré plus de dix ans de présence. Ce n’est pas vraiment rassurant pour Citroën ?

En effet, l’Inde est un marché ultra-compétitif et il faut se demander pour quelles raisons ces constructeurs stagnent. Plusieurs leçons sont à tirer pour y réussir. La première est de mettre en place un écosystème 100 % India et de produire à 90 % en local notamment pour être compétitif en coût. La R&D est basée en Inde et travaille en interaction avec le centre de design à Vélizy en région parisienne. Nous avons aussi deux usines sur place via notre partenaire CK Birla : Hosur qui fabrique les moteurs 1.2 PureTech et les boîtes de vitesses, et Thiruvallur (près de Chennai) qui assemble les voitures. On s’appuie aussi sur un bassin de fournisseurs locaux qui offrent la qualité et la disponibilité des pièces. Deuxième leçon. Beaucoup de constructeurs sont arrivés avec un modèle et n’ont pas été réguliers dans leur stratégie de lancements produit. Or, il faut savoir que 64 % des Indiens ont moins de 30 ans. Ce sont des clients qui ne sont pas fidèles aux marques, qui cherchent la nouveauté et qui développent leur niveau de vie de façon constante.
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Quelle est votre stratégie en matière de produits ?
Notre objectif est d’arriver avec un portefeuille de trois nouveaux produits sur les 3 à 4 années prochaines. Les cycles de vie ne sont pas plus courts qu’en Europe mais l’érosion des ventes y est plus rapide et il est nécessaire de rafraîchir les produits fréquemment. De plus, nos concurrents n’ont pas un écosystème adéquat. Notre nouvelle plate-forme, dérivée de la CMP européenne, a été développée en Inde pour les Indiens et permettra de lancer une nouvelle silhouette tous les ans. Nous avons rassemblé les avis des clients pour concevoir des modèles qui répondent aux attentes.
Pour l’heure, le réseau de distribution est limité. Quels sont vos plans avec la commercialisation de la C3 ?


Nous avons lancé le C5 Aircross avec dix maisons Citroën dans les principales villes du territoire où se trouvent la clientèle premium. La deuxième vague de développement du réseau débutera avec la C3 et elle grossira avec l’élargissement de la gamme. Mais on a aussi décidé de faire différemment via différentes initiatives. On propose ainsi une “digital customer journey” qui permet de configurer le véhicule, le personnaliser, le financer, de souscrire un contrat de maintenance et de l’acheter en ligne depuis son domicile. Le client sauvegarde le tout et peut aller visiter le phygital showroom. Citroën est le seul constructeur à le faire. Quand on arrive dans un pays comme l’Inde, on peut comprendre qu’il y ait une appréhension sur la couverture du réseau, la qualité du service après-vente ou de la disponibilité des pièces détachées. Citroën a choisi de faire différemment pour rassurer les clients. Pour développer notre notoriété dans les villes périphériques, nous mettons à la disposition des concessionnaires des showrooms ambulants tractés par des camions. Chaque concessionnaire dispose d’un “service on wheel” qui se déplace chez les clients. Avec une start-up indienne, nous avons développé le “virtual job repair” qui permet aux techniciens de partager via la vidéo avec le centre technique afin d’apporter une solution.

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Est-ce que vous allez vous appuyer sur le réseau Jeep déjà implanté ?
Non. Les deux réseaux resteront séparés physiquement car chaque marque a ses valeurs. Mais rien n’empêche d’avoir des investisseurs communs.
Quels sont les objectifs de Citroën ?
Concernant l’Inde, mieux vaut rester humble. Nous souhaitons bien implanter la marque et être rentable, ce qui n’est pas vraiment une mince affaire. Citroën doit avoir un plan produit robuste sur les années à venir. C’est ce qui a manqué à Ford qui vient d’arrêter ses usines en Inde. Si à moyen terme, la marque est dans les dix premiers en gagnant de l’argent, ce sera bien. Comme l’a dit Carlos Tavares, nous ne sommes pas en Inde pour trois ou quatre ans. Il y a un gros potentiel de développement, nous souhaitons saisir les opportunités.
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Les futurs produits du programme C-Cubed
En s’appuyant sur la base C-Cubed, version dépouillée de la plate-forme CMP des Citroën C4, Opel Corsa ou Peugeot 208, Citroën lancera au premier semestre 2022 la C3 (code CC21 en interne) avec le moteur 1.2 à essence puis en version électrique. Deux autres modèles sont au programme : la CC23 qui correspond à une berline compacte tri-corps et le CC24 qui correspond au C3 Aircross et, qui comme le modèle européen en 2024, aura un gabarit allongé (aux alentours de 4,30 m).
Des Citroën made in India
En novembre 2020, Stellantis a implanté l’ITC (centre technique indien) qui abrite les départements Recherche & Développement, Programmes et Projets, Centre d’achat mondial, Chaîne d’approvisionnement, Ingénierie des procédés et de fabrication, Qualité, Centre d’excellence KD et Produit. Néanmoins, pour le développement de la plate-forme C-Cubed, le groupe a fait appel aux services de Tata Consulting Services. Pour la partie industrielle, Citroën s’appuie sur le groupe indien CK Birla par le biais de co-entreprises. PSA Avtec, créée en 2017, qui produit des moteurs et transmissions à Hosur et PCA Motors qui fabrique les véhicules dans l’usine de Thiruvallur (capacité de 100 000 véhicules par an) et les distribue.
Tata Punch : Citroën rit jaune
Dévoilée quelques jours avant la Citroën C3, le Tata Punch a immédiatement surpris par son design ressemblant. Une coïncidence ? Pour Roland Bouchara, ce véhicule est « plus petit et n’a pas vraiment les codes esthétiques » de la franco-indienne. Officieusement, et selon nos informations, le constructeur français se pose des questions en interne et soupçonne une fuite industrielle de la part de Tata Consulting Services, à qui a été confié le développement de la plate-forme C-Cubed et de la C3. Si cette société d’ingénierie est indépendante du constructeur automobile Tata Motors, elle appartient tout de même au conglomérat Tata.
