Concession automobile. La fin du temps des cathédrales
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Concession automobile. La fin du temps des cathédrales

La période n'est plus à la démesure mais à la rationalisation des surfaces d'exposition au sein des showrooms automobiles. De plus en plus d'opérateurs ouvrent des sites multimarques afin de réduire les coûts d'exploitation. Les constructeurs approuvent et certains impulsent même ce mouvement.

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La nouvelle concession du groupe Sipa au Nord de Toulouse réunit sept marques automobiles

Les consommateurs ont déserté les points de vente automobiles et depuis quelques mois ce sont les voitures qui manquent à l’appel. Les showrooms sonnent un peu creux. La conjoncture est morose mais ce sont plus encore les changements en cours et à venir dans la distribution (digitalisation, nouveaux contrats…) qui soulèvent inévitablement des questions sur la configuration des points de vente automobiles. Est-il encore raisonnable ou viable de consacrer un showroom unique de 800 m2 à une marque qui pèse moins de 2 % de part de marché ? Que faire de ces mètres carrés en trop et de ces surfaces commerciales devenues parfois surdimensionnées ? Comment continuer de quadriller le territoire de façon optimale ?

Le groupe Vauban a inauguré le 14 octobre sa concession trimarque Peugeot, Citroën et DS (service) des Mureaux (Yvelines).
Le groupe Stellantis a apporté des éléments de réponse ces dernières années avec la création, d’abord sous l’impulsion de la filiale PSA Retail, des premières concessions bimarques, puis trimarques, voire quadrimarques (celles de Madrid représentent les panneaux Peugeot, Citroën, DS et Opel). Les opérateurs privés ont naturellement embrayé le pas et amorcé des rapprochements dans des structures existantes ou alors dans des nouveaux bâtiments. Ainsi, deux ans après avoir ouvert sa première concession trimarque à Buchelay (Yvelines), réunissant les panneaux Peugeot, Citroën et DS, le groupe Vauban a inauguré en octobre aux Mureaux (Yvelines) un second site aux couleurs des 3 marques de l’ex-groupe PSA.« À Buchelay, il y a d’abord eu une période d’adaptation, de calage pour les collaborateurs ou dans le fonctionnement de l’activité après-vente commune, par exemple. Il a fallu que tout le monde trouve sa place. Mais avec le temps les choses s’organisent, et nous profitons d’économies d’échelle, d’économies de frais de structure et de synergies. Nous avons des rentabilités qui sont assez bonnes avec Peugeot et Citroën, alors que pas mal d’opérateurs perdent de l’argent », rapporte Olivier Hossard. Le groupe Chopard a inauguré récemment à Cannes son premier site réunissant les panneaux Peugeot, Citroën et DS. Les projets de cette nature se multiplient et devraient s’accélérer au sein du groupe dirigé par Carlos Tavares avec l’intégration des marques du groupe FCA et l’arrivée des nouveaux contrats de distribution.

A LIRE. Vauban inaugure une 2e concession trimarque Peugeot, Citroën et DS

Sipa réunit sept marques

Avec sa concession multimarque de Toulouse Nord, qui réunit les panneaux Opel, Fiat, Alfa, Jeep et Abarth, Volvo, Hyundai, le groupe Sipa vise un volume de vente de 850 VN, et entre 650 et 700 VO.

Mais cette mutualisation ne se limite plus à la seule galaxie Stellantis. En effet, le groupe Sipa a ouvert le 1er octobre à Toulouse Nord une concession multimarque réunissant sur la façade les logos Opel, Fiat, Alfa, Jeep et Abarth, Volvo, Hyundai. Une première pour l’opérateur. Les marques, dont les univers spécifiques sont respectés et dissociés, sont exposées dans un showroom de 4 000 m2, érigé sur un terrain de 17 000 m2. L’opérateur a investi un peu plus de 8 millions d’euros dans ce projet. « Nous aurions dépensé entre 12 et 15 millions s’il avait fallu investir dans cinq sites pour chaque marque, remarque Hubert Gérardin, directeur général du groupe Sipa. Nous nous appuyons sur un atelier, un centre de préparation des VO commun à l’ensemble des marques, auxquels s’ajoutent la mutualisation des fonctions supports. Ce type de projet va dans le sens de la transformation de la distribution automobile ». Sur la ville de Toulouse, ce développement fait également sens car l’opérateur distribue chacune de ces marques au sud de la ville rose. Imaginé et conçu dans le cadre des anciens contrats Stellantis, ce point de vente pourrait d’ailleurs accueillir une autre marque dans les mois à venir, sachant que les surfaces devraient être revues à la baisse avec les nouveaux contrats.

Des constructeurs pragmatiques

Hubert Gérardin, directeur général du groupe Sipa

Longtemps fermés aux discussions et aux arrangements concernant le respect des standards de représentation et l’identité de marque, et ce afin de couvrir le territoire avec des showrooms toujours plus modernes et d’assurer une représentation homogène, les constructeurs ont mis de l’eau dans leur vin et assoupli leurs exigences : « Ils sont favorables à ce type de concession multimarque dès lors que nous respectons leur image et que nous nous appuyons sur des vendeurs dédiés, précise Hubert Gérardin. Ils ont conscience que le fait de “chasser en meute” a du sens et suscite de l’intérêt, surtout pour des marques qui n’affichent pas les parts de marché les plus élevées. De plus, ils ne peuvent pas s’y opposer s’ils souhaitent à l’avenir s’appuyer sur des opérateurs qui ont les reins solides. Tout le monde est gagnant. Au sein du groupe, nous sommes parfaitement à l’aise pour gérer ce type de configuration, qui peut être dupliqué dans d’autres villes ». 

Thomas Chieux (ICDP)

« Nous assistons à un changement d’attitude de certains constructeurs qui sont beaucoup plus relaxes sur l’approche multimarque des concessionnaires qu’il y a encore 18 mois, observe également Thomas Chieux, directeur de recherche au sein du cabinet ICDP. Plutôt que d’exiger la présence de 15 voitures dans le showroom, ils acceptent qu’il n’y en ait plus que 5 afin de réduire les coûts de distribution. Je crois même savoir qu’une marque premium envisage de passer d’une représentativité de 8 à 15 voitures à seulement 3 dans le showroom et serait davantage conciliante quant à un partage des mètres carrés. Cette démarche fait sens de la part des constructeurs. Ils ne peuvent pas dire, “nous allons réduire les coûts de la distribution physique des véhicules”, et en même temps continuer de demander à leurs représentants d’investir dans des cathédrales pour chaque marque. C’est plutôt bon signe pour les distributeurs ».

Souplesse et simplicité

Pour attirer des investisseurs et structurer leur réseau en France, les marques MG Motor, Seres ou encore Ineos avancent pour arguments des investissements réduits et des standards simples. Les nouvelles habitudes de consommation des ménages, la digitalisation et la crise sanitaire semblent avoir mis un terme à la surenchère à laquelle se sont livrés les constructeurs pendant de nombreuses années, incarnée par ces fameuses “cathédrales”. « Aujourd’hui, avec le digital, nous sommes ouverts 24h/24, je vois mes vendeurs qui répondent à des leads après 22 h 00 ou à 06 h 00 du matin. Donc il n’y a plus de trafic en showroom, soulève Fabien Moretto, directeur général du groupe éponyme. Notre objectif est d’harmoniser la représentation de nos marques en termes d’immobilier. L’idée à moyen long terme est de couvrir nos secteurs en bâtissant des structures dans lesquelles nous pourrons représenter l’ensemble des marques, comme nous l’avons fait sur Verdun (Ford, Mazda et Hyundai), Longwy et Saint-Dizier (Ford, Hyundai). Les constructeurs sont favorables et ouverts à ce type de représentation, en particulier chez Stellantis ».

« Lorsqu’un constructeur décide d’adopter un “vrai” contrat d’agent pour ses distributeurs, il faut savoir que c’est la marque qui supporte les stocks, en particulier ceux dédiés à l’exposition, informe Thomas Chieux (ICDP). Par conséquent, celles qui s’engagent dans cette direction ne vont pas se tirer une balle dans le pied s’imposant l’exposition de 15 voitures ». Ce type de projet multimarque ne sort évidemment pas de terre du jour au lendemain et peut se heurter à des limites au niveau architectural, des surfaces… Il convient par exemple de disposer d’une superficie suffisante à l’extérieur pour exposer les véhicules d’occasion de chacune des marques distribuées. Par ailleurs, on peut aussi s’interroger sur la gestion des concessions qui feront cohabiter des marques dont la nature du contrat ne sera plus la même (agence, intermédiaire, concessionnaire traditionnel).

Un business tourné vers l’extérieur

Le concept Renault Live, éprouvé par le groupe Thivolle, se caractérise par un showroom plus compact mais des zones d'essai beaucoup plus importantes.
Au regard des mutations en cours, Nissan a choisi de faire évoluer son dispositif en développant en 2021 de nouveaux formats de distribution afin de mieux mailler les territoires, reposant soit sur un point de vente avec des standards allégés pour couvrir les petites villes, un site après-vente accompagné d’un petit showroom ou encore une vitrine dédiée à la vente de voitures d’occasion. Ce « passage d’un format unique au multi-format permet de répondre aux besoins du client en limitant les investissements », expliquait en début d’année Xavier Kroetz, directeur réseau et qualité client de la marque. Les réflexions vont bon train chez les constructeurs comme chez les opérateurs.

Ainsi, le groupe Thivolle a transformé sa concession de Saint-Etienne pour adopter le nouveau concept Renault Live, dont la caractéristique est de vouloir placer les véhicules d’essai au cœur du parcours client. « C’est la philosophie du Renault Live : des showrooms plus compacts mais des zones d’essai beaucoup plus importantes », résume ainsi François-Xavier Thivolle, directeur général du groupe. Une philosophie qui rejoint les propos de Jean-Marie Degenève, dirigeant du groupe éponyme (Toyota, Lexus). « Avec la baisse des marges sur les voitures neuves, nous devons rationaliser nos frais fixes, et pour ce faire il va falloir exploiter des bâtiments de plus petite taille mais avoir des parkings plus grands. Et plutôt que d’investir dans des grands showrooms, il me paraît plus opportun d’investir dans de beaux espaces d’essais et de livraisons. De plus, avec l’accélération du digital, on peut s’interroger sur le besoin en surface commerciale dans certaines zones, quels que soient les secteurs d’activités, sachant que les prix dans l’immobilier deviennent très élevés. Nous devons aller dans le sens des clients ». Finalement, c’est peut-être à l’extérieur des showrooms que la révolution sera la plus palpable.

A LIRE. Groupe Degenève, tatoué du logo Toyota


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Entretien Christophe Alamargot et Laurent Dachet, directeurs associés au sein du cabinet d’architecture Archipel 41

« Les constructeurs poussent à la création de sites multimarques »


L'argus. Quel est le périmètre d’activité de votre cabinet dans l’automobile ?

Christophe Alamargot. Environ 90 % de notre activité repose sur les concessions automobiles. Nous avons plusieurs volets d’intervention. La première consiste à assurer la mission d’architecte conseil pour le compte des constructeurs, soit à titre exclusif, ce qui est le cas avec les marques Ford, Mazda, Nissan, BMW, Mini, Kia et Jaguar Land Rover, soit partagé avec un autre cabinet, soit en étant référencé. Concernant les groupes de distribution, nous travaillons avec Amplitude, Rossi, Maurin, Priod, Corsin, Bauer, Saint-Christophe, GGE, Altaïr et BPM Group.

Laurent Dachet (Archipel 41)

Laurent Dachet. Sur les études d’avant projet sommaire (APS), en tant qu’architecte conseil auprès des constructeurs, nous contribuons à 600 projets par an environ. Sur l’activité maîtrise d’œuvre, nous intervenons sur une cinquantaine de bâtiments par an, que ce soit en restructuration ou en construction, allant de 200 000 € de travaux jusqu’à 25 M€. En moyenne, nos chantiers tournent entre 2,5 M€ et 3 M€. Nous travaillons sur un projet qui entre en appel d’offre, à Gap, concernant la création sur un même terrain d’un premier bâtiment réunissant les marques Ford, Volvo, Kia, Nissan et Suzuki, et d’un second regroupant Volkswagen, Audi, Seat et Cupra.


Avez-vous observé des changements dans la nature des demandes des constructeurs et des distributeurs ?

Laurent Dachet. Depuis le rachat d’Opel par PSA et la création du groupe Stellantis, nous constatons une volonté de diminuer les coûts de distribution et pour ce faire leur piste de recherche est de réduire les surfaces de vente. Le groupe veut mettre en place un hall “généraliste”, qui va intégrer les marques Fiat, Opel et Citroën, et un autre “premium” avec Alfa, DS et Jeep. Est-ce que ce sera le même carrelage dans les 2 halls ? Est-ce que la couleur de la façade, pour un site multimarque, sera différenciée ou alors unie avec juste des logos ? On ne sait pas encore. Est-ce que les marques seront séparées dans les showrooms ? A priori, oui.


Christophe Alamargot (Archipel 41)

Christophe Alamargot. Le multimarquisme était initialement un choix du concessionnaire dans l’optique d’optimiser les coûts d’exploitation. En revanche, les constructeurs n’y étaient pas forcément favorables, privilégiant davantage des sites monomarques. Depuis 2 ou 3 ans, ce sont ces derniers qui poussent à la création de sites multimarques. Ils entendent réduire également la quantité de voitures dans les showrooms. Je considère qu’augmenter l’espace entre les produits en exposition permet de les mettre en valeur, c’est plus qualitatif.

Quelles sont les répercussions de ces mutations sur votre métier ?
Laurent Dachet. Des grands groupes raisonnent en temps réel mais aussi dans l’avenir. Par conséquent, ils nous demandent de construire des bâtiments qui pourront évoluer et ainsi accueillir, le cas échéant, d’autres activités ou une autre marque. Ils veulent de la modularité et pouvoir découper leur showroom, le réduire, l’agrandir selon les demandes du constructeur. Des groupes ne sont pas favorables à une diminution des surfaces, à l’inverse d’autres s’inscrivent davantage dans une logique de rationalisation des mètres carrés.

Vers quel profil de concession se dirige-t-on désormais ?
Christophe Alamargot. Au-delà de 400 m2 de showroom accessible au public, les concessionnaires payent une taxe sur les surfaces commerciales, la Tascom. Par conséquent, sauf préconisation spécifique de la part des constructeurs sur la surface, la plupart des groupes de distribution essayent de construire des showrooms de moins de 400 m2 par marque.