Des réseaux de distribution auto en quête de repères et de sérénité
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Des réseaux de distribution auto en quête de repères et de sérénité

Les réseaux de distribution des marques françaises ont connu des fortunes diverses en 2021 sur le plan de la rentabilité ainsi que dans leur relation avec le constructeur. Les présidents des groupements Citroën, Peugeot et Renault dressent un état des lieux.

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La rentabilité moyenne du réseau Peugeot devrait se situer entre 1 et 1,2 % en 2021.

Vaille que vaille, les distributeurs s’adaptent, s’organisent, avancent, souvent à tâtons, en raison d’une visibilité restreinte et d’environnement morose. Ils subissent les aléas de la crise sanitaire, comme tout le monde, la pénurie de semi-conducteurs, l’attentisme des particuliers, scrutent avec circonspection les stratégies et les nouvelles aspirations des constructeurs au niveau des contrats, des ventes en ligne...* Le marché automobile ne repart pas et les rentabilités moyennes restent à un niveau bas. L’ambiance n’est donc pas à la fête. Des réseaux de marque s’en sortent évidemment très bien, à l’image de Hyundai, qui se félicitait en début d’année d’une « rentabilité exceptionnelle », autour de 2 %. Mais d’autres souffrent. C’est particulièrement vrai au sein du groupe Stellantis.

Pressions et tensions chez Stellantis

La rentabilité moyenne au sein des réseaux de distribution FCA, Opel et Citroën a été négative en 2021. Le mal est profond et semble découler autant de problématiques internes que de la crise sanitaire ou de celle des semi-conducteurs. Les échos qui proviennent de l’intérieur du groupe Stellantis font état de tensions, qui rejaillissent inévitablement dans les relations entre le constructeur et les réseaux de distribution.

François Mary, président du groupement des concessionnaires Peugeot

« Pour la troisième année consécutive, seul Peugeot parvient à tirer son épingle du jeu chez Stellantis sur le plan de la rentabilité, parce qu’il y a du volume, parce que la gamme attractive et que le réseau est mature, dépeint François Mary, président du groupement des concessionnaires Peugeot. La première place du marché en 2021 constitue une vraie satisfaction pour le réseau mais personne n’a débouché le champagne chez Peugeot. Car sur le canal des particuliers, la marque ne se positionne qu’à la 3e place, ce qui constitue une véritable inquiétude. Pourquoi ? Parce que Peugeot a augmenté ses prix et réduit ses conditions commerciales. Surtout, cette performance historique a largement été ternie par l’ambiance catastrophique qui règne actuellement entre le réseau et le constructeur, et la morosité ambiante. La politique commerciale est compliquée, notamment les objectifs liés aux véhicules électriques, ceux fixés sur les ventes en ligne, qui sont assortis de primes négatives s’ils ne sont pas réalisés, ou encore la politique qualité. Aujourd’hui, nous avons besoin de sérénité et surtout d’une vision de la part du constructeur ».

Sur l’exercice 2021, le dirigeant normand avance une rentabilité moyenne du réseau située entre 1 et 1,2 % pour le réseau Peugeot. « Le constructeur nous a bien accompagnés sur le business occasion, via le SVO, en donnant la priorité au réseau, poursuit le dirigeant. Les activités pièces de rechange et après-vente ont également été satisfaisantes. Nous avons conservé nos rentabilités par rapport à 2020 et 2019 mais au prix d’énormes efforts ».

Le réseau Citroën voit rouge

La tension est surtout palpable au sein du réseau Citroën, dont la rentabilité moyenne était négative à fin novembre 2021. Dans un courrier adressé au constructeur en janvier (voir encadré ci-dessous), les doléances formulées par les représentants du réseau n’avaient guère varié par rapport à l’an passé : une politique commerciale et des objectifs jugés inadaptés pour permettre de renouer avec la rentabilité.
Christophe Deluc, président du groupement Citroën

« Il y a eu une volonté d’amélioration du constructeur l’an passé au niveau des objectifs mais cela ne s’est pas révélé du tout suffisant, note Christophe Deluc, président du groupement Citroën. Les activités atelier et occasion se sont maintenues à un niveau convenable mais la rentabilité VN a malheureusement été très mauvaise en raison de la dégradation des ventes de la marque aux particuliers. Le pricing power de Stellantis tire toujours plus les tarifs vers le haut et je considère qu’un modèle comme le C5 Aircross, qui est un bon produit, apprécié, ne fait pas les volumes qu’il devrait faire. De plus, le groupe prend des décisions très drastiques sur la gamme et nous l’avons vu dernièrement avec l’arrêt du Berlingo en thermique. Selon les régions, cela pourrait entraîner des répercussions importantes sur les volumes en VP. Enfin, notre réponse sur l’électrique n’est pas adaptée au marché actuel, en particulier sur le petit segment ».

Renault repasse dans le vert clair

Jérôme Daumont, président du groupement des concessionnaires Renault

Embarqué depuis un an dans une Renaulution, le réseau de distribution de la marque au losange évolue dans un climat un peu plus apaisé, si l’on en croit Jérôme Daumont, président du groupement des concessionnaires. « Après une année 2020 blanche sur le plan des résultats, nous sommes repassés dans le positif l’an passé. La relation est plutôt bonne avec le constructeur, ou en tout cas normale par rapport à ce que nous avons pu connaître par le passé ou ce que nous entendons dans d’autres réseaux. Nous avons un patron (Luca de Meo) charismatique chez Renault, qui a une vision claire, qui a fixé un cap, un plan, et qui considère le réseau de distribution comme un actif pour le constructeur. Tout cela est plutôt rassurant. Il n’en reste pas moins que les incertitudes qui pèsent sur l’avenir de la profession et du business créent un climat d’inquiétude, partout, chez tout le monde, surtout dans ce contexte anxiogène ». Le dirigeant francilien anticipe une rentabilité moyenne du réseau Renault-Dacia autour de 0,4 % sur l’exercice 2021. « À ma connaissance, aucun membre du réseau ne se trouve en difficulté financière », précise-t-il.

Apprendre à vendre avec des conditions commerciales réduites

Les présidents des groupements de marques redoutent une baisse des commandes auprès des clients particuliers, en raison notamment de la réduction des conditions commerciales.

L’augmentation de la rentabilité sera naturellement liée au rebond du marché automobile et plus étroitement à celui du canal des particuliers. En réduisant les conditions commerciales au cours des dernières semaines ainsi que leurs investissements publicitaires, les constructeurs ne leur ont pas forcément facilité la tâche. « Nous sommes en fort retrait au niveau des commandes en raison de cette politique tarifaire et promotionnelle réduite mais également de l’attentisme des automobilistes », soulève Christophe Deluc (Citroën). « Il s’agit d’un arbitrage ponctuel et tous les constructeurs seront bien plus agressifs sur le particulier une fois que nous serons sortis de cette crise des semi-conducteurs », considère François Mary (Peugeot). Les constructeurs n’ont pas totalement abandonné leurs ambitions de part de marché.

Élevé dans la culture du volume, le réseau de la marque au losange continue de s’adapter à la nouvelle politique adoptée par Luca de Meo, axée sur les ventes rentables. « Auparavant, il fallait pousser les voitures chez les clients et allonger les remises pour aller toucher les marges arrière et gagner de l’argent. Notre groupe s’inscrivait d’ailleurs dans cette logique puisque nous commercialisons beaucoup de véhicules à sociétés. Cela me demande de revoir profondément mon business model, c’est mon rôle de chef d’entreprise, et aux équipes commerciales de s’adapter, décrypte Jérôme Daumont. Cette baisse de volume s’accompagne d’une augmentation du prix moyen, des marges, qui profitent d’abord aux constructeurs et dans une moindre mesure au réseau ».

Une rentabilité sur le dos des réseaux

Ce changement de cap explique en partie la perte de leadership historique de Renault sur le marché VP en 2021. « Nous avons eu un débat au sein du réseau à ce sujet, certains dirigeants jugeant qu’il était important de conserver cette position de numéro un. Personnellement, je considère que c’est secondaire. Le plus important est de se challenger par rapport à soi-même plutôt que par rapport aux autres », répond le président du groupement Renault. 

Les immatriculations de la marque Citroën sur le canal des particuliers ont chuté de 26,5 % en 2021.

« Faute de voitures, les constructeurs privilégient la marge et les voitures qui rapportent le plus. C’est certainement un bon test pour les marques du groupe Stellantis qui, à l’avenir, vont porter les stocks VN et qui produiront à la demande. Le constructeur est en perpétuel recherche de marges et aujourd’hui sa rentabilité se fait en partie sur le dos des réseaux. Il suffit de regarder les résultats financiers du groupe sur les derniers mois », affirme François Mary. Ce constat relatif à la hausse du prix moyen de vente a également été pointé du doigt par les groupements des concessionnaires Citroën dans ce courrier envoyé au constructeur. « À chaque augmentation forte des prix que vous avez pratiquée durant ces 12 derniers mois, accompagnée d’une baisse de conditions commerciales clients, Stellantis en a conservé le bénéfice pour lui seul, même si une partie est justifiée par une augmentation des coûts. Si la marque persiste dans cette voie, le réseau sera confronté à de graves problèmes de durabilité après une deuxième année sans résultat financier, alors que nous avons su performer en qualité et préserver la part de marché de la marque. […] Nous sommes depuis trop longtemps un des réseaux les moins rentables en France alors que la marque Citroën contribue sensiblement à la profitabilité du groupe Stellantis ».

A LIRE. Stellantis. Des résultats financiers records, des salariés récompensés

Le modèle de distribution futur

Enfin, le sujet des contrats de distribution va continuer d’alimenter les discussions dans les prochains mois. Les concessionnaires du groupe Stellantis ont d’ailleurs reçu une nouvelle lettre de résiliation début février, cette fois-ci concernant les contrats des plaques PR Distrigo. « Nous sommes dans une phase de discussion, des groupes de travail ont été formés sur ce sujet entre les réseaux et Stellantis. L’inquiétude reste forte car ces nouveaux contrats de distribution ne sont pas écrits et on ne connaît pas les conditions de rémunération », soulève Christophe Deluc. François Mary se projette encore plus loin, et pas forcément de façon optimiste : « En 2023, nous allons repartir sur les nouveaux contrats, qui serviront de base jusqu’en 2027. Mais en 2025, nous serons certainement encore résiliés et nous assisterons alors à une deuxième lame de fond au sein du réseau ».

« Concernant les contrats de distribution pour 2024, qui ont été signés chez la plupart des concessionnaires Renault, il n’y a pas de remise en cause du modèle actuel, informe Jérôme Daumont. Mais quand je vois le nombre de constructeurs qui réfléchissent ou avancent sur un modèle d’agence, on se pose forcément des questions. Est-ce qu’ils sont dans le vrai ? Est-ce qu’ils devront faire machine arrière ? D’une façon ou d’une autre, il y aura forcément un modèle qui va l’emporter. Je reste en revanche assez dubitatif sur la cohabitation de ces deux approches. Le sujet des ventes en ligne ou directes constitue le point de départ de ce changement de règlement d’exemption et oblige les constructeurs à bouger ». Certains, comme le groupe Volkswagen, sont même déjà au stade de l’accélération.

A LIRE. Jean-Charles Verbaere : « Un saut dans l'inconnu pour le réseau Seat »

(*) Article publié en février 2022 dans l'édition numérique de L'argus pro

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« 2022, une année cruciale pour Opel », selon Michel Maggi

Michel Maggi a été reconduit en janvier 2022 pour deux ans à la tête du GNCO
Élu président du groupement des concessionnaires Opel en février 2020, Michel Maggi a accepté, à la demande du bureau, de renouveler son mandat pour deux années supplémentaires. Le dirigeant sera accompagné dans sa mission de Christian Andreani, Loïc Barbier, Jean-Luc Debove, Christophe Hamelin et Christophe Stage, tous membres du bureau. « J’ai accepté de renouveler ce mandat parce que 2022 sera une année cruciale pour le réseau Opel, tant au niveau des lancements de l’Astra et du Grandland, complétant une gamme quasiment complètement renouvelée, qu’au niveau des volumes, ouvrant la voie à la croissance, expose Michel Maggi. En 2022, nous devons regagner des parts de marché car les volumes sont essentiels à notre rentabilité. Nous devons aussi préparer l’électrification complète de notre gamme en adaptant nos parcs de démonstration et de courtoisie mais également les possibilités de recharge, donc des investissements. Tout cela dans la perspective des nouveaux contrats, dont le groupement suit de très près les échanges avec le constructeur, en collaboration avec les autres groupements de marque de Stellantis ». En septembre dernier, le dirigeant nous avait indiqué que la rentabilité du réseau Opel serait négative en 2021, comme en 2020.

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Ces « constats » qui fâchent les réseaux Citroën et DS

Le 18 janvier, le comité du groupement des concessionnaires Citroën et les délégués régionaux ont adressé un courrier à Jérôme Gautier, directeur du commerce de Citroën France, et à Guillaume Couzy, directeur général de Stellantis France, pour leur faire part de « plusieurs constats ». Le premier concerne la « dégringolade de la part de marché à particuliers de Citroën (– 26 %, part de 33 %), compensée par une très forte augmentation des ventes tactiques (+ 26 %, part à 31 %) ». Un résultat « en totale contradiction avec le discours du groupe souhaitant privilégier les ventes rentables ». Les raisons invoquées par les réseaux ? « Une très forte baisse d’attractivité de la marque, un positionnement prix inadapté à l’image de Citroën chez les clients automobiles, ainsi que la fixation d’objectifs trop ambitieux au regard de ce que vaut Citroën sur le marché et qui nous pousse à faire des immatriculations tactiques pour compenser ». Les distributeurs relèvent également une augmentation régulière des valeurs résiduelles qui ne s’accompagnent pas de moyens commerciaux supplémentaires. « Votre position nous fait courir un risque financier futur que nous jugeons important, surtout sans provision possible au vu de la rentabilité négative du réseau. Par ailleurs, les prix de vente à clients nous étant imposés par votre système d’animation commerciale et de marge restante, nous n’avons aucune marge de manœuvre ». Les représentants des groupements ont également profité de ce courrier pour demander « le paiement de garanties de prix, de primes, d’animations ponctuelles, de remboursements de malus qui datent pour certains de plus de deux ans […], des sommes importantes que vous nous devez depuis trop longtemps ».

A LIRE. Jérôme Gautier (Citroën). « Une rentabilité du réseau proche de zéro »