Entretien de Béatrice Foucher, directrice générale de DS Automobiles
Béatrice Foucher a rejoint PSA en janvier 2020 pour succéder à Yves Bonnefont à la tête de la marque DS. La dirigeante livre son regard sur les cinq premières années de la marque premium du groupe et évoque le plan de relance de la marque en Chine.
Béatrice Foucher a succédé en janvier 2020 à Yves Bonnefont à la tête de la marque DS
L'argus. Vous avez quitté l’an passé le groupe Renault, au sein duquel vous avez fait toutes vos armes, pour rejoindre PSA et DS. Qu’est-ce qui vous attirait dans ce nouveau défi ?
BF. J’ai connu concrètement trois périodes au sein du groupe Renault, avec des modes de fonctionnement et des apprentissages différents. La première est intervenue dans un contexte de reconstruction, de croissance et d’acquisition majeure (Dacia, Samsung Motors), sous l’ère Louis Schweitzer. à partir de 1999, j’ai évolué en interface avec Nissan. Mon dernier poste au sein du groupe, le management des talents aux ressources humaines, s’inscrivait à 100 % dans l’Alliance. Cette dernière excellente expérience, que j’avais d’ailleurs désirée, a ouvert ma curiosité à d’autres entreprises, d’autres secteurs d’activité. C’est ainsi que je suis entrée en contact avec PSA, qui m’a d’abord recrutée pour rejoindre les ressources humaines, toujours à la gestion des talents. Ensuite, le groupe m’a proposé de prendre la direction de DS à compter de janvier 2020. Ce poste offre une synthèse parfaite entre les compétences que j’ai acquises et celles que je peux encore développer.
L'argus. Vous n’êtes pas directement issu de l’univers premium ou haut de gamme, qui ont leurs caractéristiques. Est-ce un gros changement ?
BF. Cet univers ne m’est pas totalement étranger, car mon deuxième métier chez Renault m’a amené à travailler sur des études clientèle auprès de sociologues et de psychologues, afin d’analyser les comportements des consommateurs, en particulier sur les véhicules les plus hauts de gamme. Comment des clients dits mainstream basculent vers le premium ? Pour quelles raisons on décide d’investir plus cher dans un objet ? J’ai toujours eu aussi une sensibilité pour ce type de raisonnement échappant à une rationalité arithmétique. Pour ces raisons, rejoindre DS a été à la fois facile et très stimulant.
« En France, le bilan est même excellent »
L'argus. Il y a cinq ans, DS devenait une marque à part entière dans PSA. Le bilan commercial n’est-il pas un peu décevant par rapport aux promesses entrevues au départ ?

BF. Je ne trouve pas. Nous avons enregistré une croissance de 17 % en 2019, en commercialisant plus de 62 000 voitures dans le monde. En France, le bilan est même excellent. DS7 Crossback et DS3 Crossback occupent les deux premières places du segment premium au premier trimestre 2020. C’est un résultat assez extraordinaire. Si quelqu’un avait affirmé ça il y a cinq ans, alors que la marque n’existait pas, beaucoup de monde aurait rigolé. Par conséquent, dire que le bilan est décevant, je ne vous suis pas.
L'argus. Au niveau mondial, que retenir de ce début 2020* ?
BF. Sur le premier trimestre, nos livraisons affichent une progression de 20 % par rapport à l’an passé. La marque continue de croître grâce au lancement des gammes E-Tense sur DS3 Crossback et DS7 Crossback, qui représentent un mix assez important, de l’ordre de 25 à 30 %, selon les mois et les modèles. Ces déclinaisons nous ont permis de faire de la conquête.
L'argus. Quel est le profil des clients des versions E-Tense ?
BF. Concernant le DS7 Crossback plug-in hybride, nous avons une majorité de clients de sociétés, petites et grandes. Sur le DS3 Crossback 100 % électrique, nous séduisons aussi des flottes, notamment en France, en Italie et en Espagne, même si la proportion est moindre sur ce segment.
« DS a réellement sa place en Chine »
L'argus. Comment expliquez-vous que DS ne se soit pas imposée en Chine, alors que ce pays devait contribuer au décollage de la marque ?
BF. Pour avoir scruté le marché chinois depuis de nombreuses années, à travers Nissan notamment, il a connu pendant plusieurs années une croissance effrénée, qui a entraîné la réussite des constructeurs qui y étaient présents, dont les premiums allemands. DS est arrivée en Chine dans une période où la croissance du marché commençait à ralentir. Au même moment, les constructeurs nationaux amorçaient leur montée en compétence. Ces mutations réclamaient davantage de moyens pour pouvoir rivaliser avec des acteurs déjà installés. Il faut avoir l’humilité de considérer que le marché est devenu beaucoup plus compliqué. Mais je n’en reste pas moins persuadée que DS a réellement sa place en Chine, non pas en vendant 200 000 voitures, mais davantage en répondant aux attentes de clients bien ciblés.
L'argus. PSA a vendu fin 2019 les parts qu’il détenait dans l’usine de Shenzhen, qui fabrique les modèles DS, dans le cadre de la coentreprise mise en place avec Changan (Capsa). Cela va-t-il changer le plan de la marque en Chine ?
BF. Un nouveau départ de DS en Chine est prévu. Effectivement, l’usine a été vendue à un tiers, mais un contrat a été signé avec ce dernier afin de poursuivre la fabrication des modèles de la marque à Shenzhen. DS est vendue au travers d’une société commerciale en propre, via un réseau composé d’investisseurs privés. Pour le client, ça ne va rien changer.
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L'argus. Quelles seront les principales caractéristiques de ce « nouveau » départ ?
BF. Globalement, les ingrédients étaient réunis pour que cela réussisse : la qualité des produits, la communication tournée vers les clients ciblés, le réseau... J’ai rencontré, en novembre dernier, des distributeurs locaux qui sont extrêmement engagés et performants. La gamme s’articule aujourd’hui autour du DS7, qui, à mon sens, dispose de tous les atouts pour fonctionner en Chine. Nous allons retravailler notre axe de communication et notre plan marketing. La DS9 sera lancée en fin d’année. Cette grande berline raconte une histoire esthétique, celle du luxe à la française, mais aussi technologique, puisqu’elle sera animée par un moteur hybride rechargeable développant jusqu’à 360 ch. Plusieurs autres modèles de la gamme DS arriveront, avec cette ambition de raconter son histoire, de réaffirmer la valeur de la marque.
L'argus. Sur quels autres marchés la DS9 sera-t-elle lancée ?
BF. Nous avons annoncé que la berline sera ensuite commercialisée dans d’autres pays, dont l’Europe, depuis l’usine chinoise.
« Nous ne rencontrons aucun problème de viabilité »
L'argus. Même si DS n’a pas vocation à faire du volume, est-ce viable pour la marque d’être distribuée dans la zone Inde-Pacifique ou en Amérique latine, avec, en 2019, plus ou moins un millier d’unités vendues (respectivement 1 266 et 824) ?
BF. Nous ne rencontrons aucun problème de viabilité, car les voitures ont été conçues dès le départ pour être lancées dans un certain nombre de marchés. Nous regardons scrupuleusement dans quels pays, au regard de son potentiel, il fait sens d’installer DS et, ensuite, dans quelle ville il est important d’être implanté. Nous travaillons localement avec des investisseurs qui sont prêts à s’impliquer dans la marque. Il s’agit souvent d’opérateurs qui distribuent d’autres marques premiums et qui sont capables, d’une part, de s’adresser à cette clientèle et, d’autre part, de démontrer ce que DS apporte de différent. Nous avons introduit la marque en Corée du Sud, où elle marche très bien. Le succès est également au rendez-vous au Japon, en Egypte, en Tunisie, en Turquie… Dès lors que le territoire de clientèle premium est suffisant, que la marque a quelque chose à dire de nouveau et de différent, que le travail est bien fait au plan de la communication, du réseau de distribution, ça fonctionne.
L'argus. Quelles sont vos perspectives internationales, sachant que 90 % des ventes de DS restent concentrées en Europe ?
BF. Nous allons poursuivre notre développement sur certains marchés, Turquie et Israël, sur lesquels nous avons commencé à travailler. La marque n’est pas implantée au Brésil, où le potentiel de clients est assez important. Il s’agit d’un marché qui requiert des adaptations au niveau des motorisations. Nous ne sommes pas présents non plus en Inde. Notre marge de croissance et d’expansion internationale est donc importante. Mais l’enjeu n’est pas d’être boulimique. Une marque comme DS se doit avant tout d’avoir un ancrage extrêmement qualitatif. Par ailleurs, je continue de pousser la performance de DS en Europe, où il y a encore du potentiel, avec l’arrivée des deux nouvelles versions électrifiées. Au final, la part des ventes entre l’Europe et l’international sera juste le fruit de notre travail et de notre crédibilité.
L'argus. DS était montée à 102 000 ventes dans le monde en 2015, avant de tomber à 52000 en 2017. Quel doit être son rythme de croisière ?
BF. Dans un groupe automobile, chaque marque doit jouer son rôle. L’enjeu premier pour DS est d’avoir un business model qui fonctionne et de se positionner avec un contenu et des services qui apportent de la valeur et de les faire reconnaître à travers un prix. Une fois que ce travail sera accompli, nous mesurerons le résultat. Bien entendu, nous n’allons pas commercialiser seulement trois unités de la DS9, mais il ne faut pas s’enfermer dans la course au volume. Des marques comme Mazda ou Honda n’y sont pas particulièrement entrées, et c’est ce genre de positionnement que DS doit suivre.
« Nous sommes sur le chemin de la finalisation de la gamme »
L'argus. Carlos Tavares avait fixé six modèles dans la gamme DS. à quel horizon celle-ci sera-t-elle complète ?
BF. Ce choix de six modèles est pertinent pour couvrir tel territoire de clientèle dans tel pays. Notre travail aujourd’hui est de les imaginer et de les concevoir. Nous sommes toujours sur le chemin de la finalisation de la gamme, sachant que la vérité du jour n’est pas celle de demain. Avec la crise que l’on traverse actuellement, les comportements d’achat de voitures vont peut-être changer.
L'argus. Le DS3 Crossback a contribué à la hausse du panier moyen, mais certains distributeurs regrettent de ne plus avoir dans la gamme un modèle plus accessible. Un projet de citadine ou de nouvelle DS3 est-il envisageable ?
BF. Le choix adopté a été de proposer un modèle plus grand, plus polyvalent en termes d’usage, qui bénéficie également d’une empreinte plus internationale que celle de la DS3. Forcément, les concessionnaires ont perdu un certain nombre de clients, mais en ont quand même converti. Je perçois cette nostalgie. Mais je ne peux pas affirmer à ce stade que la première DS3 aura un successeur stricto sensu. Ce n’est pas encore prévu officiellement. La gamme n’étant pas encore totalement constituée, nous avons encore beaucoup d’hypothèses en réflexion sur le plan produits.
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L'argus. Qu’est-ce que le concept ASL (Aero Sport Lounge), dévoilé récemment, annonce du futur de DS ?
BF. Cette voiture préfigure beaucoup de choses, à commencer par une silhouette qui nous semble intéressante pour répondre aux attentes futures des clients, mais aussi l’histoire des matériaux et de la technologie à l’intérieur. Chaque nouveau modèle qui complètera à terme la gamme aura attrapé un morceau de ce que raconte ASL.
L'argus. Un modèle tout électrique est-il à l’étude ?
BF. L’orientation du groupe est de dire aux clients : choisissez votre silhouette, choisissez votre énergie. Il est évident que la pression sur la réduction des émissions de CO2 augmente et provoque une accélération des ruptures technologiques. Ce choix du multi-énergie nous permet d’être aujourd’hui en conformité avec la réglementation européenne.
« Un point de vente DS vit très bien avec deux voitures »
L'argus. La marque dispose d’un réseau à part entière depuis 2018. Deux modèles suffisent-ils à rentabiliser les investissements requis ?

BF. La réponse est oui. Un point de vente DS vit très bien avec deux voitures et leurs déclinaisons électrifiées. La question de la profitabilité ne se pose pas et nous continuons d’ouvrir a minima une concession chaque semaine. Les DS Salons sont en passe d’être transformés en DS Stores et ces showrooms offrent une relation plus exclusive au client, qui entre véritablement dans l’expérience DS, qualitative et « différenciante » des autres marques premiums. Nous le mesurons à travers le trafic, qui peut être amené à doubler dans un DS Store par rapport à un DS Salon.
L'argus. Que manque-t-il encore à DS pour en faire une marque établie, comme les autres ?
BF. Il faut de la patience, un travail consciencieux et constant, sans jamais lâcher sur la qualité du produit, les services et les valeurs. Tout n’est pas écrit, tout n’est pas encore terminé. Notre président Carlos Tavares l’a bien dit : il faut entre vingt et vingt-cinq ans pour construire une marque premium.
*Cet entretien a été réalisé le 1er avril 2020