Jaguar et Land Rover ont leur propre identité selon Philippe Robbrecht
A la tête de JLR France depuis février 2021, Philippe Robbrecht a été plongé dans le vif du sujet de l'électrification et du luxe moderne avec le plan ReImagine. Si la gestion de la transition à deux vitesses des deux marques est la priorité, la satisfaction client et le réseau le sont tout autant.
Jaguar Land Rover compte 70 points de vente en France.
JLR
L'argus. Comment Jaguar Land Rover France a-t-il vécu les 8 premiers mois de 2021 ?
Philippe Robbrecht, président-directeur général de Jaguar Land Rover France. La tendance était positive, nous espérions tenir cette dynamique jusqu’en fin d’année, mais la frustration a pris le pas. Nous avons la gamme la plus belle et la plus adaptée à la fiscalité française jamais eue jusqu’alors. Elle a été renouvelée en profondeur en termes de motorisations, tous les modèles sont disponibles en plug-in hybride et nous avons lancé le flexfuel, nous avons également procédé à d’importants face lift. Dans un court laps de temps, nous avons eu un portefeuille client inégalé par rapport à ce que nous avons fait dans le passé, car nous tendions vers un rythme de 7 500 commandes sur les six premiers mois, et ce pour dépasser le niveau de l’année 2019 entière à près de 12 000 véhicules vendus, voire même atteindre les 14 000 unités. Nous avons été arrêtés dans notre élan en avril-mai avec la crise des semi-conducteurs. Nous nous retrouvons en sortie de crise avec de belles cartes en main qu’on ne peut pas mettre sur la table. Ne pas pouvoir servir ou produire les demandes aussi rapidement que nous le voudrions est assez frustrant, et ça l’est d’autant plus pour notre réseau et nos clients. Nous mettons tout en œuvre pour anticiper, gérer, planifier au mieux cette crise avec nos concessionnaires et la clientèle.

À quoi vous attendez-vous ?
À fin 2021, nous estimons dans le meilleur des cas enregistrer environ 10 000 ventes. Cependant, le portefeuille de commandes sera très conséquent. C’est donc logiquement que nous devons mettre en place des actions tous ensemble pour mettre en confiance nos clients et pouvoir livrer tous les modèles courant 2022. Nous sommes pleinement engagés dans un processus d’information et de discussion avec nos clients pour trouver des solutions. La plupart de nos modèles dépassent les six mois de délai de livraison. Je me dis que c’est peut-être lié au succès de nos nouvelles motorisations : nous enregistrons une très forte demande en PHEV et flexfuel (E85), soit près de 60 % cumulés des ventes chez JLR.
Le manque de fiabilité des deux marques, sujet que le grand patron Thierry Bolloré ne cesse de déplorer, n’ajoute-t-il pas une source d’inquiétude supplémentaire ?

Cette problématique de la fiabilité est définie à la création du produit. Nous, nous sommes une filiale commerciale, notre métier est de faire en sorte que nos clients soient satisfaits et que si problème il y a, nous puissions absorber le choc et rapidement le solutionner. Le client accepte le problème, mais c’est la façon dont on le gère qui est le plus important et sur lequel vous êtes jugés, et ça, c’est la responsabilité du réseau et de la filiale. C’est là notre valeur ajoutée. Nous développons, en collaboration aussi avec une structure européenne, un certain nombre d’actions et d’outils sur ce sujet pour anticiper et détecter les soucis, et avoir des standards répertoriés afin de vite donner une réponse. C’est en complément de biens d’autres sujets, comme la technologie, etc. Nous allons devoir soutenir notre réseau pour qu’il puisse accompagner notre clientèle dans cette transition technologique. Beaucoup d’efforts ont été faits, et le seront encore, sur la formation des techniciens en termes d’électrification, et la Jaguar E-Pace nous a bien aidés à amorcer ce virage avant la concrétisation du plan ReImagine en 2025.
Aucun de vos modèles ne pèse moins de 1 800 kg, redoutez-vous le malus au poids en 2022 ?
Nous voyons cette taxe comme un challenge. On demande aux constructeurs de fabriquer des voitures plus sûres, plus connectées, avec plus de confort, alors forcément elles deviennent plus lourdes. Nos technologies hybrides rechargeables permettent à nos clients d’éviter l’impact de la taxation au poids sur l’ensemble de notre gamme. Tout peut encore évoluer, nous restons en alerte.
Peu d’informations ont été révélées sur le plan ReImagine, mais vous annoncez un plan d’électrification à deux vitesses, pourquoi ?
Le plan ReImagine va pousser l’électrification ; complète chez Jaguar qui ne va proposer que des produits 100 % électriques à partir de 2025, avec une vision exprimée pour le futur de la marque de tendre encore plus vers le luxe, la gamme va évoluer vers cette définition et être redessinée pour être en phase avec les attentes des clients ; et elle sera partielle ou plus douce du côté de Land Rover, laquelle commercialisera six produits full électriques au cours des cinq prochaines années, et ce en continuant d’offrir des alternatives essences plug in hybrid. Nous estimons le poids du full électrique dans les ventes de Land Rover à 60 % d’ici à 2030 et je le répète, nous n’allons pas perdre l’ADN du baroudeur. L’électrification peut apporter des bénéfices en termes de capacité tout-terrain, l’électrique n’est pas antinomique avec les capacités de franchissement. Nous le voyons comme une opportunité d’améliorer notre savoir-faire. C’est un projet commun car d’ici à la fin de la décennie, nous serons un groupe 100 % électrique. Les deux marques suivent le même chemin, mais n’avancent pas au même rythme et je dirais que c’est plus facile d’opérer une transition 100 % électrique et plus rapide chez Jaguar que de le faire chez Land Rover.
C’est renforcer leur personnalité ?
Nous ne sommes pas dans une réflexion de scission des marques, cependant, dans le contexte aujourd’hui, il est important d’avoir une identité propre, de leur donner les capacités d’évoluer dans un univers bien défini, tout en restant complémentaires. Nous devons gérer cette différence et formuler des propositions claires pour nos clients, qu’ils sachent pourquoi ils achètent un véhicule Jaguar ou un véhicule Land Rover. Nous avons su les faire cohabiter de façon intelligente depuis ces dix dernières années et nous continuerons avec des spécificités en plus.
Ce virage signifie quoi pour vous ?
Nous sommes dans une dynamique historique, il est important de voir d’où nous venons, ce que nous avons accompli et quelles leçons sont à tirer de ce parcours pour pouvoir se projeter. Le plan ReImagine nous permet cette critique, ce retour en arrière et ce pas en avant, et nous donne une ligne directrice, une aspiration de ce vers quoi veut tendre la société avec les deux marques en 2025, soit un repositionnement plus haut dans le marché.

Quel rôle donnerez-vous au flexfuel dans ce renouveau ?
Nous avons fait du flexfuel notre cheval de bataille. JLR développe l’éthanol au Brésil, et nous avons récupéré cette technologie pour déployer une offre exclusive en France. Nous sommes aussi le seul constructeur premium à proposer cette alternative. Il y a une volonté d’assumer cette motorisation, laquelle s’inscrit dans le plan ReImagine qui est de proposer des alternatives plus vertes à nos consommateurs. Nous souhaitons démocratiser la commercialisation du E85 dans un contexte écologique et économique tendu. Les avantages sont certains pour le consommateur et les équipes françaises y ont vu une opportunité, et force est de constater que dès l’arrivée de l’éthanol dans les showrooms, le succès a été au rendez-vous : notre mix a graduellement basculé, pour atteindre aujourd’hui 30 % des commandes engrangées chez Land Rover et 24 % chez Jaguar. Nous le proposons sur une partie de la gamme fortement plébiscitée par les particuliers, comme la Jaguar E-Pace, le Discovery Sport et le Range Rover Evoque. Les volumes de ventes du flexfuel chez JLR seront au-delà de nos espérances en 2022.
Vous lorgnez l’hydrogène aussi.

Oui, mais il est clairement trop tôt pour en parler car nous sommes en pleine phase de tests avec un concept Defender. Ce n’est pas tant le produit qui est important, plus la technologie à hydrogène que nous regardons et que nous souhaitons développer. Nous voulons résolument être prêts au moment où on aurait un basculement sur le déploiement potentiel d’un réseau de distribution hydrogène. C’est le point noir car technologiquement parlant, nous serons capables à court terme de proposer un produit digne de ce nom, mais les infrastructures ne suivent pas. Nous estimons le nombre de stations à 10 000 d’ici à 2030. Notre réflexion du vertueux prônée par ReImagine tient le bon timing et on aura une réponse au moment venu.
Sur quels autres sujets travaillez-vous ?
Nous sommes l’un des premiers pays au niveau européen à avoir lancé en mars 2020 la configuration et la réservation en ligne pour aller jusqu’au stade de la précommande. Nous allons déployer la réservation de l’entretien pour augmenter la disponibilité des services dans nos ateliers. Nous travaillons sur le Digital garage pour créer un écosystème qui facilite la vie de nos clients et le travail de nos concessionnaires, et ce, sans opposer le numérique et le physique. Je crois en la complémentarité des deux. Nous allons vers le phygital, un monde dans lequel le digital doit venir en soutien à l’humain et pas le contraire. Nous voulons surtout donner le choix aux clients de passer par le Web ou en concession pour leurs projets. La digitalisation est un sujet important, nous offrons des services mais ce n’est pas notre priorité absolue, car cela nécessite des moyens financiers, du temps et des hommes, ainsi que des connexions entre nos systèmes et ceux du réseau.
Nombre de constructeurs et de distributeurs accélèrent sur le sujet de la mobilité, où en êtes-vous ?
Nos collègues allemands ont lancé un label JLR Rent, mais ce n’est pas encore sur le marché français, même si nous planchons dessus car cela s’inscrit dans la nouvelle consommation de l’automobile. Nous ne sommes fermés à rien et courant 2022, nous proposerons certainement des offres de location.
Et le réseau dans tout ça, avez-vous des projets de recrutement ?
Même si nous sommes dans une démarche d’évolution avec le plan ReImagine, nous ne recrutons pas. Nous avons atteint notre équilibre avec nos 70 points de vente. Il est primordial d’assurer une pérennité et une rentabilité au réseau. C’est la clé de voûte, nous en revenons à l’humain car un réseau qui ne gagne pas d’argent n’est pas capable de délivrer un service client digne de ce nom, surtout pour une marque premium, qui doit elle aussi se développer et rester rentable. Le triangle entre la marque, le client et le réseau doit être le plus équilibré possible.

Vous communiquez de moins en moins sur le véhicule d’occasion, le label Approved existe-t-il toujours ?
Crise oblige, nous avons fait des choix dans notre communication. La vente de VO via le label Approved est bel et bien d’actualité, levier important de la rentabilité pour notre réseau. Pour les deux marques, ce sont près de 4 000 VO certifiés vendus chaque année, alors aucun intérêt pour nous de laisser tomber ce label. C’est une réelle source de revenus pour les concessionnaires et de sécurité pour nos clients. De notre côté, il nous permet également de travailler de façon très active sur la valeur résiduelle de nos produits, une influence certaine avérée sur la vente de nos véhicules neufs. Nous développons aussi logiquement par ce biais les activités après-vente. Nous continuerons d’investir dans la certification Approved et la rendre visible, avec le développement de programmes commerciaux, assurance et financement adaptés, l’amélioration du store VO, etc. Et nos ambitions sont claires, atteindre l’équilibre parfait entre la vente de voitures neuves et d’occasion, soit 1 VO pour 1 VN.
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