La concession automobile à l'heure de la révolution
TRIBUNE. Pour Eric Le Gendre, consultant spécialisé dans la distribution automobile, le « phygital » préfigure le commerce de demain. Le dirigeant présente des exemples de concepts inédits déployés dans le monde.
Eric Le Gendre, consultant et spécialiste de la distribution
Cédric Lecocq, CEDRIC LECOCQ
Le « Phygital » arrive ! Ce néologisme, issu de la contraction des mots « physique » et « digital », correspond à une démarche, engagée depuis une quinzaine d’années par de nombreuses enseignes et entreprises, qui consiste à combiner deux modèles (magasins physiques et activités digitales), pour en retenir le meilleur et créer l’avenir du commerce.
Bien évidemment, il ne s’agit ni du E-commerce ni du E-Business, car il s’agit ici d’associer et de coordonner les deux formes de commerce, et de les intégrer efficacement dans sa propre activité. La rencontre entre les marques et leurs clients est ainsi possible 24h sur 24, et 7 jours sur 7.
Et surtout dans de nombreux espaces et lieux que la marque ignorait précédemment. Tout comme sur les ordinateurs, tablettes, smartphones divers … et bientôt sur les objets connectés. Le tout dans une ambiance et un contexte modernes, détendus, très pro …
Les avantages en sont multiples : proximité et satisfaction clients, convivialité et expérience, collecte de données … et également avantages financiers, dans la mesure où les investissements immobiliers seront de-facto plus légers.
Une double relation : physique et digitale
N’oublions jamais que lorsque la relation n’est « que » digitale, le doute peut toujours subsister sur la réalité qui est proposée, sur le sérieux des acteurs, la tangibilité de leur offre… Nombre d’exemples le prouvent. Alors qu’offrir à ses prospects la possibilité de rencontrer ses collaborateurs (sans pression sur l’achat …) et de « toucher physiquement » un produit est un avantage indéniable que ne propose pas le E-Business.
C’est un facteur clef : le « magasin physique » a et aura donc toujours sa place, mais dans un format différent d’aujourd’hui, sous de multiples déclinaisons selon les métiers … De plus, le choix de magasins « phygitaux » permet de sortir des sentiers battus, et même parfois de s’affranchir des codes usuels du métier : s’installer dans une gare ou un aéroport, dans une galerie commerciale, dans un centre-ville piétonnier … On l’aura compris : le phygital ouvre des perspectives et un terrain de jeu extraordinaires pour qui sait oser et penser consommateur de demain plus que codes classiques.
Finie, la concession « classique » ?
Pour l’automobile, dont le système de distribution est confronté à une rentabilité très faible de par le monde, doublée d’investissements physiques très onéreux (la concession classique), voire hors de contexte (la cathédrale), je pousse personnellement cette idée depuis des années au travers de mes différentes responsabilités passées et présentes. Il s’agit de promouvoir de nouveaux types de « concept stores », propres aux marques comme aux cultures et habitudes des pays.
Cette démarche présente fondamentalement un double avantage :
- celui d’alléger le poids comme les contraintes de l’investissement immobilier physique et faciliter la proximité clients, en particulier dans les grandes métropoles, où le coût de l’immobilier est très élevé.
- la capacité à faire entrer définitivement la distribution automobile dans une ère 2.0, qui commence sur le mobile du client, sur sa tablette ou son ordinateur, pour se poursuivre dans le cheminement du process d’achat et de la relation client d’une marque automobile (le fameux entonnoir de la vente, ou sales-funnel). Et Dieu sait si notre profession a besoin de se réinventer de l’intérieur …
L’objectif principal est de rendre possible une expérience client de première qualité, tout en préparant de meilleures performances commerciales futures, grâce à la proximité et à la qualité relationnelle générées par rapport aux marques concurrentes, d’une part, mais également par rapport à d’autres secteurs, qui avancent également très vite. Je rappelle bien évidemment que le concept phygital ne concerne pas que la vente de VN ou de VO, même si les premiers exemples vont dans ce sens, mais l’ensemble des activités de la concession, en particulier l’après-vente. Et bientôt, la location comme la mobilité.
Et puis, pensons aux jeunes générations : dans tous ces magasins phygitaux, ils retrouvent le plaisir de découvrir, d’évaluer … voire de consommer qu’elles avaient perdu dans les univers classiques.
La preuve par l’exemple
La profession automobile est en marche : de nouveaux concepts apparaissent ici et là. Et nous savons tous que de très nombreux sont encore dans les cartons.
Je citerais donc quelques exemples, variés dans leurs schémas, différents dans leur organisation, de modèles phygitaux dans la distribution automobile. Je les ai choisis car ils correspondent à une réponse à « LA » tendance de fond de notre monde : son urbanisation croissante, et le développement de mégalopoles congestionnées et couteuses, où les clients automobiles vivent et travaillent. Relevés à travers le monde, qu’ils servent d’inspiration à tous, et surtout qu’ils n’offusquent pas les non cités.
Chine / Magasins VW Phaeton (2007 - 2016)
Il s’agit probablement de la plus belle expérience phygitale qu’il m’ait été permis de visiter, en 2011 : le retail concept exclusif à la Phaeton de Shanghai. Sur deux étages en plein centre-ville, une seule voiture, un personnel attentif, beaucoup de technologies innovantes… et à l’étage, un vrai lounge-bar à l’anglaise, avec canapés en cuir, bar à whiskies et à cigares. Les riches chinois adoraient.
Brésil/ Fiat Live Store (2013)
La démarche est ici totalement différente : Fiat Brésil était handicapée par une faible couverture de son réseau, eu égard aux dimensions du pays. Comment alors apporter à ses clients la possibilité de voir, tester, dialoguer … quand ils étaient à 300km de la première concession ?
Tout simplement en leur proposant des assistant(e)s bien réels, mais qui au moyen de la 3D et de la vidéo permettent au client d’avoir la même impression que s’il était dans un show-room classique. Ces assistants se déplacent autour et dans la voiture, et des caméras fixées sur leur tête permettent au prospect, installé chez lui devant son ordinateur, de ressentir (presque) toutes les sensations.
Ce Live Store, installé dans l’état de Minas Gérais, est en fait un hangar ultramoderne décoré en blanc, comme un studio de télévision, équipé des technologies les plus modernes. Les Leads générés sont transmis au réseau. FIAT a accru ses ventes au Brésil.
USA / Boutique Tesla-Apple de San Francisco (2014)
Environnement moderne et chic, mobilier très tendance, une boutique d’un nouveau genre située dans un centre commercial. On n’y « vend » pas, on y informe. Matériaux, équipements, accessoires et même maquettes sont palpables et bien tangibles.
De nombreux écrans (géants sur les murs, format tablette sur des consoles) permettent de configurer son véhicule, de s’informer sur l’utilisation comme les performances et de dialoguer avec la marque.
Compte tenu des spécificités d’utilisation de la Tesla, comme des inquiétudes éventuelles des prospects sur l’autonomie comme de la recharge, un accent particulier est porté sur la pédagogie : cartes des bornes, simulations trajets, propositions de pauses agréables lors des recharges (env. 20mn).
Royaume-Uni / Rockar Hyundai (2014)
Simon Dixon a déjà une très belle carrière derrière lui : fondateur et propriétaire d’un groupe de distribution automobile éponyme, les succès se succédaient pour lui. Mais il a décidé de vendre son groupe, et après un passage dans l’univers du design et de l’agencement commercial, de repartir de zéro dans le commerce automobile, avec une approche différente.
J’en relèverais trois caractéristiques principales :
-le choix de s’implanter dans l’un des plus grands centres commerciaux du pays, dans une « boutique », associée à des services classiques (parking, valet, APV, …). Plutôt que de s’installer dans une énième zone commerciale, il choisit le cœur du système : plus de 27 millions de visiteurs chaque année, 300 boutiques ...
-le choix de travailler avec des méthodes résolument différentes (pas de pression vendeurs, rémunérations collectives fixes, pas de déstockages et peu de remises …)
-le choix d’un « magasin » (si l’on peut dire) et d’une approche combinée qui en font l’un des pionniers du phygital.
Une marque a pris le risque d’accompagner Simon dans sa démarche, Hyundai. Et depuis, c’est un énorme succès. Les « visites » professionnelles sont même payantes, tellement il y en a.
France / PSA Experience Store, Rue St Didier à Paris (2017)
Pour avoir travaillé dans cette concession avec les Bernier, il y a plus de 30 ans, comme jeune chef de secteur Peugeot, j’ai bien connu le lieu comme ses contraintes : clientèle exigeante, rue en sens unique sans places de parking, concession « réglementée » car sous un immeuble d’habitations, ateliers en sous-sol et loyers très élevés. Quelles contraintes d’exploitation pendant des dizaines d’années !
PSA l’a récemment transformée en 3 espaces phygitaux, très conviviaux, bien agencés, et chacun positionné dans l’univers de sa marque (réel challenge, fort bien réalisé).
La part belle y est faite aux moyens digitaux, très modernes et conviviaux, comme à l’accueil (et j’ai apprécié le Café Citroën …). Yvan Frosini, directeur du site, l’a fort bien décrit dans une interview comme étant le chaînon manquant du parcours omni-canal du client. Je n’oublierais certainement pas l’après-vente, avec en particulier le service jockey, CitNOW et le vidéo check, la E-Boutique, qui se montre particulièrement innovante. Ouverte ce printemps, je pense que cette expérimentation fera vite des petits …
RESTENT TOUS LES AUTRES …
Tout d’abord, de très belles réalisations existent ailleurs, que je n’ai pas citées. D’autres (encore plus innovantes ?) sont dans les cartons de certains. Et l’avenir nous dira très bientôt ce que pensent faire Toyota, LYNK ou JLR, en la matière… Une nouvelle ère s’est ouverte depuis quelques temps déjà, qui rend honneur à notre profession. Les couteuses cathédrales s’éloignent.
Eric LE GENDRE
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