L'automobile de luxe, ce monde à part
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L'automobile de luxe, ce monde à part

Le marché des voitures de luxe est un filon en or. Mais à force de persévérance et de patience. La complémentarité avec la distribution de marques généralistes semble de rigueur.

Publié le Mis à jour le

Passion Automobiles a deux concessions Bentley, une à Mulhouse (création en 2011) et une autre à Lyon (création 2019).

La légende dit qu’on n’achète ni ne vend une Bugatti comme une Peugeot. Rien ne doit dénigrer pourtant les marques généralistes par rapport aux marques de luxe, mais le travail est différent avec les secondes. C’est ce qu’il ressort des échanges avec des groupes spécialistes de la distribution d’automobiles de luxe en France. « Encore plus aujourd’hui, la voiture de luxe est un produit plaisir, à l’image du commerce des montres », souligne Yannick Etter, président de Passion Automobiles, qui distribue dix marques, dont deux de luxe, Bentley et Lamborghini. Un premier parallèle est donc fait entre une montre et une voiture, qui ont chacune une utilité (donner l’heure, transporter), et d’autres montres et voitures qu’on admire, qu’on collectionne ou que l’on pousse à la performance. 

Les ventes de voitures de luxe en France

Dans un marché français de luxe rassemblant neuf marques*, Aston Martin, Bentley, Bugatti, Corvette, Ferrari, Lamborghini, Maserati, McLaren et Rolls-Royce, les ventes de véhicules neufs peinent à dépasser 1 000 immatriculations par an, toutes marques confondues (voir tableau). Il s’agit d’une niche confidentielle où peu de distributeurs se risquent. Ceux qui se sont lancés dans l’aventure parlent tous d’un monde bien à part, peuplé de passionnés.

Marque Immat.
6 mois 2020
Evol. 20/19.
6 mois (en %)
Immat.
12 mois 2019
Evol. 19/18
(en %) 
Aston Martin  19 -55,8% 92 9,5%
Bentley 28 -28,2% 84 2,4%
Bugatti 0   0  
Corvette 0   17 -59,5%
Ferrari 76 -51% 339 25,6%
Lamborghini 19 -76,5% 156 92,6%
Maserati 12 -93,1% 420 -30,7%
McLaren 2 -85,7% 24 -7,7%
Rolls-Royce 7 133,3% 10 -37,5%
 

Le monde du luxe est un univers qu’Édouard Schumacher, patron de LS Group, a intégré petit à petit, avec, pour dernier-né, un écrin McLaren récemment ouvert aux portes de Paris. Il s’agit de l’unique point de vente consacré à la marque anglaise en France. Le jeune patron dépeint un précieux lien pour les marques de luxe qu’il distribue (Bugatti, Lamborghini, Maserati et McLaren), du côté de l’opérateur comme de l’acquéreur :

« Il y a un fort attachement avec ces marques et la passion y est persévérante, quoi que l’on fasse. Les achats sont cohérents et hyper-réfléchis, car les acheteurs sont avertis. La passion rime toujours avec information. »

Les concessions et distributeurs automobiles de luxe en France. ARGUS

Le luxe relève du plaisir

Le discours du dirigeant de Passion Automobiles, Yannick Etter, a le même écho. « Nous sommes des passionnés. Nous ne parlons pas de voiture, mais d’œuvre d’art. Dans ce monde, la séparation est nette : il y a des produits qui se vendent par rapport à un prix et à un usage et d’autres produits, de luxe en l’occurrence, qui relèvent uniquement du plaisir, confirme-t-il. Avec le Covid-19, nous avons fermé pendant deux mois et dès la réouverture, les ventes ont redémarré très fort. Nos clients ont été frustrés de ne pas pouvoir se faire plaisir. » Yannick Etter, qui tend à devenir le leader du segment sport et prestige dans l’est de la France, précise qu’il a réalisé + 62% de ventes en juin et + 47% en juillet sur les marques Bentley et Lamborghini.

D’après nos interlocuteurs, l’automobile de luxe ne craint pas la crise, la clientèle est moins sensible et davantage protégée contre les fluctuations du marché, comme l’horlogerie. « Personne n’y croyait quand j’ai pris les panneaux Bentley, en 2011, et Lamborghini, en 2006, se souvient Yannick Etter. Mais la première est la marque de luxe la plus exclusive dans le monde et la seconde est la marque sportive la plus exclusive dans le monde. J’ai toute confiance en Volks­wagen Group, la passion reste intacte. »

La concession Lamborghini de Mulhouse. C'est la plus ancienne concession en activité de la marque, selon Yannick Etter, président de Passion Automobiles.

Dans l'auto de luxe, le savoir-être est primordial

Qui dit clientèle différente, dit organisation différente. Édouard Schumacher va même jusqu’à catégoriser les clients, car chaque marque a des besoins différents. Les acheteurs de Lamborghini et de McLaren aiment la performance, tandis que ceux de Maserati veulent, par exemple, un véhicule au quotidien. Ce sont des monopossesseurs. Mais il y a aussi les collectionneurs.

« Ils vont piocher là où ils trouveront une utilité et donc vont aller chercher un millésime par marque et par modèle », souligne Édouard Schumacher.

Yannick Etter, président de Passion Automobiles

De ce constat, partagé par Yannick Etter, découle une stratégie de vente personnalisée qui impose disponibilité et patience. « Le vrai luxe est le temps que nous accordons au plaisir du client. Nous devons nous investir pour connaître le moindre de ses désirs. Il n’est pas anonyme, ce n’est pas un numéro que l’on entre dans un outil CRM ou DMS. Sans jamais passer la limite de la familiarité, il y a une complicité et une intimité qui se créent avec nos clients », indique Édouard Schumacher. « C’est un autre monde. Nous connaissons chaque client personnellement. C’est un travail de relation de longue haleine que nous opérons », appuie Yannick Etter, qui confie d’ailleurs qu’un de ses vendeurs entretient un lien avec un passionné, mais qu’après quinze ans de complicité, il ne lui a toujours rien vendu... La patience et la confiance paieront, selon lui. Dans l’automobile de luxe, le savoir-être est beaucoup plus important que le savoir-faire. « Nos vendeurs ne sont pas des “signeurs” de bons de commande, une grande confiance entre eux et les clients doit s’instaurer en amont », ajoute-t-il.

« Nous offrons du sur-mesure »

Edouard Schumacher, fondateur de LS Group

Chez LS Group, les techniciens sont les premiers vendeurs et les vendeurs, des ambassadeurs : « Le vendeur et le mécanicien forment un binôme parfait. Les clients veulent savoir qui chouchoute leur voiture et s’informent de l’actualité d’une marque auprès des réparateurs. Nous offrons du sur-mesure et je souhaite que tous mes clients se sentent comme chez eux. » D’où la création de la Maison McLaren, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Édouard Schumacher avoue même avoir tissé des liens d’amitié avec ses clients, partir en vacances avec eux, les inviter à voir un match ou à fumer un cigare dans le jardin de ses concessions. « C’est comme ça que se nouent les deals. Nous voulons créer un environnement dans lequel le client a envie de rester et où il peut accéder 24h/24 et 7j/7. La dimension art de vivre se reflète pleinement dans ma stratégie, avec ma propre sensibilité, dans mes concessions de marque de luxe », indique Édouard Schumacher. L’expérience client doit être parfaitement réussie, de la prise de contact à l’entretien du joujou. Surtout que le monde du luxe automobile est un microcosme où le bouche-à-oreille est roi.

« Tout se sait. Nous n’avons pas le droit à l’erreur, car les clients n’auront pas de problème à acheter leur voiture à l’autre bout de la France », ajoute le dirigeant.

À Saint-Cloud, dans la concession de LS Group (Schumacher) appelée « Maison McLaren », il y a peu, voire pas, de voitures, mais plutôt des salons privés avec vue sur la tour Eiffel et une cave à cigares.

Répondre à une certaine exigence, tout en privilégiant la simplicité lors de moments privilégiés est donc primordial dans ce business de luxe. Aussi, les deux groupes LS et Passion Automobiles ont-ils élaboré leur stratégie de fidélisation ou de conquête autour de petits et récurrents événements, dans le but d’entretenir et de bonifier leur relation privilégiée avec les clients. La bonne recette est de concocter des rendez-vous personnalisés et hors du commun, comme l’organisation de soirées privatives, d’essais avec mise en main poussée, de cours de pilotage ou de compétitions sportives. « Nous les chouchoutons et les accompagnons dans leur parcours de passionnés, c’est important », confie Yannick Etter.

Si les deux entreprises mettent autant de cœur et de corps à l’ouvrage, c’est que le jeu doit en valoir la chandelle, non ? Pourtant, le retour sur investissement se fait désirer. Sans entrer dans le détail, les dirigeants évoquent un seuil de rentabilité plus lointain pour les marques de luxe que pour les généralistes, en raison de standards exigeants pour la mise aux normes, d’une création de parc qui est longue, de faibles volumes de ventes. Mais une fois passé ce point mort de rentabilité, les distributeurs gagnent beaucoup d’argent.

« C’est séduisant sur le papier »

Un autre groupe de distribution, qui préfère rester anonyme, se dit en situation d’attente par rapport à une marque de luxe qu’il distribue. « Le constructeur ne tient pas ses promesses. Il y a des modèles qu’on n’a jamais vus en production. C’est séduisant sur le papier, mais l’aventure n’est pas aussi joyeuse que j’espérais. Je leur accorde encore le crédit de nouvelles annonces récemment dévoilées. Le luxe n’est vraiment pas synonyme de rentabilité. » Il faut donc aller chercher une certaine forme de complémentarité. « Nous le savons, avec les marques de luxe, nous n’aurons jamais le potentiel de gain des marques généralistes en pourcentage et en valeur absolue, car leur socle est le volume.

Les marques de luxe doivent être rentables, certes, mais ce sont les généralistes qui portent le groupe. Le luxe est une vitrine pour offrir une proposition de vente globale et complète », commente Édouard Schumacher, chez qui les marques de luxe ne représentent même pas 1% du chiffre d’affaires. Et d’ajouter : « Je suis admiratif de ce que nous faisons avec les marques généralistes, c’est-à-dire faire beaucoup avec peu de moyens. L’ADN du groupe repose sur les marques généralistes et ce sont elles qui m’ont permis d’apprendre tous les processus utiles à la distribution automobile. Je n’aurais pas été capable de me lancer dans le monde du luxe sans ce premier point d’entrée dans la distribution. »

(*) L’argus s’est concentré sur l’ultra-luxe, le prestige, avec des voitures vendues au-delà de 150 000 €.

***

« Partager l’histoire de la marque avec nos clients »

Bernard Guénant, distributeur agréé Maserati et réparateur-carrossier Maserati et Ferrari

Bernard Guénant, distributeur agréé Maserati et réparateur-carrossier Maserati et Ferrari

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à travailler avec les marques de luxe ?
Je suis distributeur agréé Maserati depuis mars 2013. Je m’y intéresse depuis 1968, quand Citroën a acheté la marque. Elles ont toutes les deux partagé huit années d’industrie et de technologie. Citroën a fait concevoir et fabriquer le moteur de la SM par Maserati, a réorganisé les méthodes à l’usine Maserati et a apporté le système de freinage de la SM à plusieurs modèles Maserati. Ce partage m’a beaucoup plu.

Les volumes sont confidentiels. C’est un problème, non ?
Les volumes Maserati correspondent à la gamme actuelle, qui est étroite. Elle se renouvelle actuellement avec l’arrivée prochaine d’une Maserati sportive et luxueuse, la MC20. Un petit SUV est également attendu en 2021, ainsi que les nouveaux GranTurismo et GranCabrio. Des modèles hybrides et électriques seront déployés en même temps. Le volume idéal pour une concession comme la nôtre pourrait se situer entre 80 et 100 VN par an.

Comment vous organisez-vous par rapport à d’autres marques ? 
Maserati, dont l’histoire en compétition et en production de voitures de sport et de luxe est exceptionnelle, nous engage, grâce à notre importante collection, à partager cette histoire avec nos clients pour ensuite leur proposer les modèles actuels. Chaque client doit faire l’objet d’une attention particulière. De nombreux événements sont proposés par la marque et par la concession chaque année : journées dédiées, circuits, "test drive", visite de nos ateliers de restauration, de la collection, rallye avec le Club Maserati, etc.


 

 
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