L'hydrogène, pétrole du 21e siècle ?
Technologie. Renault, Toyota, Hyundai, Faurecia, Michelin... Depuis le lancement en France du Plan hydrogène, qui prévoit un investissement de 7 milliards sur 10 ans, et la création d'un Conseil national de l'hydrogène, les annonces se multiplient sur le sujet.
Faire un plein d'hydrogène ne prend que quelques minutes, comme pour le sans plomb et le gazole.
« L’hydrogène, c’est un grand rêve qui est en train de devenir réalité ». C’est avec ces mots que Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, a choisi d’inaugurer le 1er Conseil national de l’hydrogène le 25 février dernier à Albi (81). Constitué suite au Plan hydrogène annoncé en septembre 2020, qui prévoit un soutien public de 7 milliards d’euros au développement de la filière d’ici 2030, dont 2 milliards d’ici 2022, dans le cadre de France Relance, ce Conseil doit superviser et coordonner la mise en œuvre de la stratégie française en la matière.
Rester en pointe dans le domaine de l'hydrogène
Il s’agit ainsi de développer cette nouvelle source d’énergie plus respectueuse de l’environnement tout en garantissant notre indépendance stratégique. « Il n’est pas question de payer des technologies étrangères », puisque, poursuit le ministre, « nous avons bien vu ce que cela coûtait, par exemple sur les composants électroniques, de trop dépendre de l’étranger ». Mais ces 7 milliards sont toutefois, selon lui, « une goutte d’eau par rapport à ce qui sera nécessaire pour déployer l’intégralité de la stratégie hydrogène sur les trois prochaines décennies ». On parle ainsi de sommes colossales pouvant aller jusqu’à quasiment 500 milliards sur trois décennies pour atteindre l’objectif européen – le Green deal ou Pacte vert – de neutralité carbone en 2050.
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Pour que la France reste en pointe dans le domaine de l’hydrogène, aux côtés de la Chine, des États-Unis et de la Corée du Sud, Bruno Le Maire insiste donc sur la nécessité d’une coopération au niveau européen, et surtout avec l’Allemagne. C’est le but des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), récemment annoncés dans le cadre du plan de relance européen “Next generation EU” à 750 milliards d’euros.
Plusieurs défis à relever
Mais pour garantir notre indépendance stratégique en matière d’hydrogène, tout en l’inscrivant dans l’objectif européen de réduction des émissions de CO2, le ministre de l’Économie insiste sur 4 conditions, puisque le développement de cette nouvelle chaîne de valeur nécessite de relever plusieurs défis. Outre la production d’hydrogène au niveau local, pourquoi pas au sein de futures stations-services équipées d’une petite unité d’électrolyse, il faut ainsi maîtriser son conditionnement et sa distribution.
Peu dense naturellement, l’hydrogène occupe en effet un volume très important et doit donc être compressé dans des bouteilles ou des pipelines pour être transporté et stocké, sachant que sa liquéfaction s’opérant à – 253°C nécessite un savoir-faire de pointe et beaucoup d’énergie. Il convient également de définir des débouchés industriels rentables économiquement, à savoir principalement l’industrie et les transports lourds (avions, bateaux, camions, VUL), puisqu’une pile à combustible et des réservoirs de stockage prennent de la place et ne peuvent donc pas être installés – pour l’instant – sur des véhicules de petite taille.
Enfin, il est nécessaire de produire de l’hydrogène avec des sources d’énergie renouvelable (l’hydrogène vert), si l’on veut obtenir un carburant propre. Issu principalement, aujourd’hui, de la transformation d’énergies émettrices de dioxyde de carbone (l’hydrogène gris), surtout du méthane, l’hydrogène est produit par l’électrolyse de l’eau, qui décompose l’eau en dioxygène et dihydrogène à l’aide d’un courant électrique. Or cette opération consomme beaucoup d’électricité, d’où l’importance de son origine renouvelable, que ce soit l’éolien, le solaire, ou le biogaz, pour obtenir un hydrogène vert. À noter qu’une 3e source d’hydrogène, dit blanc, qui est présent naturellement dans l’environnement, nécessite la mise en place d’une filière d’exploitation qui n’est malheureusement pas prise en compte par le plan français.
L’allié des constructeurs dans leur chasse au CO2
Alors que cette nouvelle filière hydrogène apparaît comme une source d’énergie essentielle pour mieux protéger l’environnement, mais aussi pour créer des emplois, elle est prise très au sérieux par les constructeurs automobiles, qui y voient une solution pour atteindre leurs objectifs en matière de diminution de leurs émissions de CO2. Réglementation CAFE en vigueur depuis 2020, norme Euro 7 qui se profile à l’horizon 2025 sur les véhicules particuliers et 2027 sur les VUL, ou encore restrictions de circulation dans les centres-villes, s’apprêtent en effet à sonner le glas du moteur thermique tel qu’on le connaît dans les prochaines années, mais aussi et surtout du diesel. Et comme les moteurs hybrides risquent de ne pas suffire dans l’atteinte de ces objectifs, les constructeurs s’intéressent de près à l’hydrogène, qui offre quelques avantages par rapport aux véhicules électriques à batterie.
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La production, le transport et le stockage de l’hydrogène nécessitent certes de relever de nombreux défis techniques et économiques, tandis que son caractère hautement inflammable requiert un haut niveau de sécurité, mais ce carburant offre un avantage considérable par rapport à la recharge des batteries par une prise électrique : faire le plein ne prend que quelques minutes ! De même, la pile à combustible située à bord du véhicule produit directement l’électricité nécessaire au fonctionnement du moteur électrique, en transformant l’énergie chimique créée par l’hydrogène stocké à bord mélangé à de l’oxygène. Ainsi, il n’y a plus besoin d’imposantes batteries pour stocker de l’électricité, même si Renault a choisi un système hybride de “range extender”, qui combine production d’électricité à l’aide d’hydrogène avec une batterie – certes plus petite – pour ses Kangoo et Master ZE Hydrogen.
864 voitures à hydrogène vendues en Europe en 2020
Découvert en 1839, le procédé de la pile à combustible n’a pas été réellement exploité jusqu’à aujourd’hui, mis à part dans des applications industrielles, à cause de son stockage et de son transport compliqués. En 2020, seulement 864 voitures à hydrogène ont ainsi été vendues en Europe, dont 211 en France. Selon l’Agence internationale de l’énergie, quelques 11 000 voitures circulaient dans le monde fin 2018, dont plus de 9 000 Toyota Mirai.
Mais plusieurs constructeurs automobiles investissent massivement dans cette technologie, qui pourrait bien se démocratiser à l’horizon 2030, si l’on en croit Christophe Decultot, vice-président de Honda Motor Europe. Avec sa FCX Clarity de 3e génération, pas disponible en France, le constructeur japonais croit « énormément à cette technologie », mais le dirigeant français estime que deux conditions sont nécessaires à son développement. Selon lui, « les constructeurs doivent réussir à industrialiser cette technologie à des coûts abordables, notamment les piles à combustible, et il faut aussi une volonté politique pour démocratiser les réseaux de ravitaillement ». Aujourd’hui, selon l’observatoire Vig’Hy, environ 80 stations de distribution sont en service ou en projet dans l’Hexagone, tandis que les quelques modèles existants coûtent pour l’instant très cher.

Peu d’offre mais de nombreux projets
Toyota, qui vient de lancer la commercialisation de sa Mirai de deuxième génération, dont le tarif débute à 67 900 €, mise de son côté sur des flottes captives pour atteindre son objectif de 30 000 ventes annuelles, comme l’initiative lancée avec la flotte de taxis via la société HysetCo, qui s’appuie sur un réseau de stations de recharge privées. Le constructeur n°1 mondial s’apprête en outre à produire un module de pile à combustible prêt à l’emploi pour promouvoir l’usage de cette technologie.
Le coréen Hyundai, qui propose déjà la Nexo sur le marché, a quant à lui noué un partenariat avec Posco avec comme ambition de fabriquer 500 000 véhicules à hydrogène et 700 000 piles à combustible d’ici 2030. Outre Renault, qui multiplie les initiatives (voir encadré p. 8), plusieurs autres constructeurs misent sur l’hydrogène. Contrairement à Mercedes-Benz, qui vient d’arrêter son GLC F-Cell pour se consacrer à l’électrique à batterie sur les voitures, BMW compte ainsi proposer une pile à combustible de nouvelle génération d’ici 2022, tandis que Jaguar Land Rover travaille sur un SUV à hydrogène. Au sein de Stellantis, Opel travaille également sur la mise au point d’une pile à combustible, et PSA avait initié, avant la fusion, un projet pour proposer des utilitaires légers à hydrogène d’ici fin 2021.
La pile à combustible, comment ça marche ?

À bord d’un véhicule à hydrogène, le carburant est stocké dans un réservoir à haute pression de 700 bars. Pour transformer de l’énergie chimique en énergie électrique destinée à faire fonctionner le moteur, la pile à combustible mélange l’hydrogène (plus précisément du dihydrogène) à de l’oxygène. La combustion de 1 kg d’hydrogène libère 3 fois plus d’énergie que 1 kg de gazole mais ne rejette que de la vapeur d’eau. Il s’agit certes d’un gaz à effet de serre, mais qui ne persiste que quelques jours dans l’atmosphère, contre un siècle pour le CO2. À noter que Renault a choisi un système hybride de “range extender”, qui agit comme un prolongateur d’autonomie pour le système électrique à batterie, puisque la pile à combustible alimente la batterie au lieu de faire tourner directement le moteur électrique.
« Une distribution sélective » pour la Mirai
Frank Marotte P-DG de Toyota France.

Quelles sont vos ambitions avec la Mirai de 2e génération ?
L’hydrogène est une nouvelle technologie, qui démarre seulement dans l’automobile. En partant de faibles volumes, nos ambitions sont donc forcément en forte croissance. Au niveau mondial, nous souhaitons passer de 3 000 ventes annuelles à 30 000 unités dès 2021. Nous allons donc passer d’une phase artisanale à une phase industrielle. En France, nos volumes dépendront des clients que nous réussirons à contracter car nous adoptons une stratégie particulière avec la Mirai. Elle ne sera pas distribuée via l’intégralité de notre réseau français car nous manquons d’infrastructures sur le territoire et donc tous les concessionnaires n’ont pas accès à une station. Il s’agira d’une distribution sélective auprès de flottes captives sur des périmètres géographiques bien définis. Nous espérons mettre 600 Mirai à la route en 2021 et avons créé fin 2020 l’écosystème HysetCo*, qui a acquis 600 licences de taxi en région parisienne. La flotte actuelle, qui roule au diesel, va entièrement basculer à l’hydrogène en 2021 avec des Toyota Mirai de 1ère et 2e génération.
(*) HysetCo est une entreprise commune à Toyota, Air Liquide, Idex et à la Société du taxi électrique parisien (STEP)