Marché des autos électriques : poussée artificielle ou vrai démarrage?
Les électriques ont représenté 8,2% des immatriculations de voitures neuves en janvier 2020. Un bond spectaculaire et certainement artificiel qui ne doit pas occulter les raisons qui empêchent encore le véhicule à zéro émission de devenir un marché de masse.
Que ce soit les superchargeurs Tesla ou les bornes traditionnelles, il n'y a pas encore foule aux points de recharge...
Les ventes de véhicules électriques (VE) n’ont toujours pas décollé en France. Avec 42 764 VP neufs immatriculés en 2019, elles ont certes bondi de 37,6 % par rapport à 2018. Mais avec une part de 1,9 % des ventes (+ 0,5 point en un an), le constat s’impose : l’électrique reste une niche. Plusieurs raisons à cela, même si l’une, peu rationnelle, pourrait tout expliquer : le VE n’enthousiasme ni les foules ni les constructeurs. « Si par un coup de baguette magique, on nous disait “on vous fait confiance, il n’y aura pas de pénalités et d’amendes sur le CO2”, 90 % des constructeurs arrêteraient l’électrification... », a ainsi déclaré Didier Leroy, vice-président de Toyota, aux Échos.
Un problème d’offre qui ne sera bientôt plus
L’automobiliste français n’avait guère le choix en 2019. Sorti des incontournables Renault Zoé et Nissan Leaf, le marché était restreint. Les VE coûtent cher et sont difficiles à rentabiliser pour les constructeurs. Ces derniers ont donc attendu d’avoir le couteau sous la gorge (les normes de CO2 en 2021) pour en proposer davantage. L’année 2020 sera à ce sujet un feu d’artifice. Selon l’association Transport & Environment, 33 nouveaux VE vont être proposés en Europe : Peugeot e-208, Seat Mii électrique, Volkswagen ID3, Mercedes EQB, Honda e, Jaguar XJ électrique, Porsche Taycan… L’offre concernera toutes les bourses, tous les segments. Le problème de l’offre va donc s’éteindre de lui-même, mais un autre ne sera pas résolu cette année.
Pour qu’un type de véhicule ou de motorisation s’impose, il faut qu’il soit aussi et surtout disponible en occasion, marché qui représente, en volume, cinq fois celui du neuf. Or les ventes de VO électriques sont anecdotiques. L’accroissement de l’offre en VN devrait favoriser le VO électrique.
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Une fiscalité instable
Jusqu’en 2019, le bonus pour un VE neuf a été maintenu à 6 000 € maximum. Un montant toujours insuffisant pour combler l’écart de prix avec un véhicule thermique équivalent, mais dont la portée est tout de même plus que symbolique. Cette année, ce bonus va être raboté : il est maintenu en l’état pour les particuliers, mais pas pour les personnes morales, qui ne pourront prétendre qu’à 3 000 €. Le bonus est aussi ramené à 3 000 € pour les ménages achetant un VE de plus de 45 000 € TTC et à 0 au-delà de 60 000 €. « Ce qui dérange le plus est la distorsion entre le discours et les faits, pointe François Piot, président d’Arval Mobility Observatory. Passer de 6 000 à 3 000 €, c’est significatif pour les entreprises, car le TCO d’un VE reste supérieur au thermique. » Mathieu Chiara, responsable de la communication de l’Association pour le développement de la mobilité électrique (Avere), se désole d’un « mauvais signal » envoyé aux gens qui se posaient la question du passage à l’électrique. Il déplore aussi le fait que les recettes du malus (en croissance) ne servent pas uniquement à payer les bonus, comme ce devrait être le cas. La PFA (Plateforme automobile) n’a pas manqué d’égratigner le gouvernement : « Être ambitieux sur les objectifs et manquer à ce point d’ambition sur les moyens, c’est réduire ses ambitions à de l’affichage politique », a fait savoir l’entité.
Une infrastructure encore insuffisante

Le problème de l’infrastructure de recharge est complexe. Même si 90 % des recharges se font au domicile ou sur le lieu de travail, il faut néanmoins continuer d’implanter des bornes dans l’espace public. À ce jour, selon l’Avere, 28 666 points de recharge sont disséminés en France.« C’est 1 point de recharge pour 7,4 VL électriques en circulation », indique l’association, sachant qu’on considère qu’avec 1 point pour 10 véhicules, le parc peut s’approvisionner sans difficulté. Le compte est donc plus que bon. Pourtant, le problème de l’infrastructure reste. « Parvenir à faire respecter le droit à la prise est très difficile », souligne Mathieu Chiara. « Le sujet à régler, ce sont les copropriétés, malgré les progrès introduits par la LOM », note Éric Feunteun, directeur du programme VE chez Renault.
En effet, bien des Français vivent dans des immeubles. Le législateur a donc introduit « le droit à la prise » en 2014, qui permet à un particulier de faire une demande de câblage pour la recharge de son auto. Une fois cette requête formulée, il s’agit de recueillir l’assentiment de toute la copropriété, ce qui n’est jamais facile... Installation électrique à haute tension, normes d’incendie, méconnaissance des VE sont autant de freins à l’expansion des infrastructures de recharge dans le domaine privé. « Il faut aussi faire attention à la qualité des bornes et à leur entretien », prévient Éric Feunteun, car un point de recharge en panne ou dégradé n’incite pas les automobilistes à arrêter la voiture thermique.
Une voiture à l’écologie encore douteuse
Parler de véhicules « propres » et donc reléguer au rang de véhicules sales ceux qui consomment des carburants fossiles tient du manichéisme. Vraiment écolo, le VE ? Pas plus que son homologue à essence dès lors qu’on ne prend pas en considération la batterie et son approvisionnement. En revanche, une fois mis à la route, c’est vrai que le VE ne rejette rien sur son lieu d’utilisation. Tout le problème est donc de s’assurer que l’électricité du véhicule a été produite de manière « propre » et que sa batterie n’entraîne pas non plus de troubles environnementaux. « En France, la voiture électrique a potentiellement un bon bilan CO2, l’électricité étant majoritairement nucléaire. Mais en Chine, par exemple, c’est un véhicule qui roule en grande partie grâce au charbon. D’où un bilan CO2 pouvant être plus mauvais que celui des solutions traditionnelles », considère l’IFP énergies nouvelles.
Batteries : le lithium plus "éthique" que le cobalt
Autre point de critique du VE : sa batterie. Elle est complexe à produire et nécessite l’usage de divers matériaux rares et chers. Ainsi, les batteries les plus récentes consomment du cobalt, un minerai qui se trouve notamment au Congo, un des pays les plus pauvres d’Afrique et où la guerre civile fait rage. L’Agence internationale de l’énergie a donc dénoncé, comme d’autres avant elle, le fait que ce sont des enfants qui en creusent le sol pour satisfaire la demande en cobalt des industriels de la batterie. Un désastre social, sanitaire et écologique. Les constructeurs ont cependant réagi. BMW a ainsi annoncé, le 11 décembre 2019, avoir signé un contrat exclusif de fourniture en lithium avec une société chinoise, qui s’approvisionne en Australie, où les conditions d’extraction sont « éthiques ».