Occasion. Comment créer une usine de reconditionnement VO ?
La création d'usines VO tend à professionnaliser le secteur et à garantir la rentabilité des acteurs. L'industrialisation n'est pas l'affaire de tous et la faisabilité est soumise à plusieurs critères essentiels. Le patron de Weinmann Technologies nous livre tous les secrets.
Une quarantaine de centres de reconditionnement existent actuellement en France
Le marché du véhicule d’occasion est en effervescence. En 2021, des records ont pointé à 5 967 808 ventes en France métropole (+ 8,2 %) avec un ratio de 3,6 VO pour 1 VN. Les transactions entre particuliers ont représenté 48 % des immatriculations, contre 39,2 % pour le canal BtoC. Les professionnels bataillent pour gagner du terrain ou ne serait-ce se maintenir, surtout à l’orée de profonds changements dans la distribution automobile où les nouveaux contrats VN vont altérer la rentabilité de leurs affaires. Des initiatives (création de marque ou label) ont donc été entreprises sur la carrosserie et le VO, deux activités pas encore soumises à un cahier des charges précis. Le marché français du VO est en effervescence, certes, et si c’est d’autant plus vrai sur la partie commerciale la plus visible, la partie cachée de l’iceberg, qui est leur reconditionnement, s’affole aussi. Depuis cinq ans, les pros ont l’ambition de (re)structurer la remise en état des VO, en poussant jusqu’à l’industrialisation et la construction d’usines dédiées. Les premières ont vu le jour sous la houlette des groupes de distribution tels que Gemy, Aramis Auto, etc, et d’autres continuent de fleurir au travers des constructeurs comme Stellantis et récemment Renault. Quelques acteurs, qui n’ont pas directement d’attache dans le business du véhicule d’occasion ont aussi décidé d’avoir leur propre site de remarketing à l’image de Sineo, spécialiste du lavage, qui a annoncé ouvrir deux usines de reconditionnement à Lyon et à Marseille début 2022.
L’œil de l’expert
Pour comprendre les raisons qui les poussent à créer leur factory et savoir comment ils s’y prennent, la rédaction de L’argus a contacté un expert, Weinmann Technologies, qui a pris part à la création d’une vingtaine de centres de reconditionnement VO sur la quarantaine significative existante en France (+ 15 projets en cours). Il ne se revendique plus comme simple cabiniste peinture mais comme une société apportant une expertise à la conception d’ateliers de carrosserie premium. Elle accompagne l’étude des projets dans leur globalité, de la modélisation à la maîtrise d’œuvre jusqu’à la formation et le choix des équipements et la technologie.

Selon le dirigeant, André Courtois, « l’occasion est un marché bien occupé par les particuliers et sur lequel les professionnels ont peu d’emprise parce que tant qu’ils vendaient des voitures neuves, ils ne s’y intéressaient pas franchement. Aujourd’hui, on travaille le VO comme le VN ». Et d’ajouter : « Le réveil est brutal car cette révélation sollicite des acteurs d’horizons différents sur le même sujet, même ceux qui n’étaient pas sur ce créneau ». Il prévient qu’il y a aura de la casse : « Nous ferons un bilan dans 5 ans et nous verrons combien d’usines de reconditionnement auront su passer au travers des difficultés et devenir de véritables centres de profit. Nous sommes au début de l’histoire et certains n’y arriveront pas s’ils n’ont pas sérieusement travaillé leur projet ».
Les motivations pour créer une factory VO
D’après André Courtois, il y a 3 objectifs à atteindre : - la réduction des frais de remise en état d’un VO, autrement dit la chasse aux coûts, - la diminution du lead time, pour raccourcir les délais de préparation, soit le temps complet entre la récupération et la restitution du véhicule, et le vendre le plus rapidement possible (pour certains, la voiture sort à peine des chaînes, qu’elle est déjà photographiée et mise sur le marché via une annonce), - la création d’un standard de qualité et par la suite d’un label maison. « Le but est de traiter un maximum de voitures en un minimum de temps avec un cahier des charges le plus strict possible pour les vendre en un temps record. L’équation est telle que la remise en état doit coûter le moins cher possible aux concessionnaires et ainsi être la plus rentable ». L’engouement est légitime car de nombreux leviers de croissance existent sur le VO et la carrosserie. Et pour cela, ce dernier insiste sur le fait qu’il est impératif de travailler selon des processus industriels et d’en finir avec l’artisanat.
« Il y a forcément une approche industrielle à adopter, on ne peut plus traiter de grands volumes de manière artisanale. Une grande rupture s’opère car on change de paradigme. Les acteurs n’ont jamais été formés et ont toujours été habitués à travailler de leur propre appréciation sans apprendre les process ».
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Les pistes de réflexion
Là encore trois points sont essentiels. Le premier concerne les volumes. André Courtois et ses équipes pensent qu’il faut faire appel à un prestataire pour des volumes ne dépassant pas les 3 000 VO traités à l’année. « À 5 000, on peut espérer centraliser l’activité et engranger des gains significatifs, mais passer la barre des 10 000, c’est encore mieux ». La rentabilité dépend de nombreux critères, mais certains acteurs peuvent l’atteindre rapidement s’ils détiennent une force supplémentaire via le transport ou au travers de plaques de distribution de pièces. Justement, des interrogations sont cruciales : où dois-je acheminer la voiture et par qui ? Quelles sont les zones où les autoroutes sont les plus chères ? Où est la zone de chalandise avec le plus de concessions ? Quel fournisseur de pièces pour quel délai ?... Ces interrogations doivent être posées. L’implantation et la logistique ainsi que les spécificités régionales que nécessite la conception d’un centre VO font partie d’un écosystème tout aussi important que la création des murs.
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Le dernier volet abordé par André Courtois concerne la gouvernance et le management. « Un sujet sensible, mais primordial pour savoir qui va décider de réparer ou non un véhicule, et à quel coût, élaborer quel système informatique, etc. Beaucoup montent les infrastructures sans se soucier des hommes et des compétences. Il faut recruter des personnes qui vont porter le projet et donc chercher les savoir-faire avant de modeler l’usine ». Et pour lui, « mettre des process en place pour réparer une voiture et savoir réparer une voiture sont deux notions différentes. Il faut donc s’entourer d’experts métier VO et de spécialistes de la production issus du monde industriel et de l’innovation. La principale difficulté est de trouver cet équilibre : si vous êtes trop industriel ou si vous êtes trop artisanal, vous n’y arriverez pas. Si vous avez un centre pourri avec des hommes compétents, le centre roulera, mais si vous avez un centre magnifique mais sans hommes pour le faire tourner, l’échec est assuré ».

Les process à respecter
Si rien n’est figé dans le marbre et que chacun y va de ses spécificités et de son modèle idéal de factory VO, il existe quelques process clés à ne pas négliger pour être performant, selon Weinmann. Le système informatique va aussi jouer un rôle primordial.
- Les flux physiques. L’élaboration du plan de l’usine est capitale pour permettre la fluidité des échanges entre les différentes activités, soit entre les essais dynamiques, le lavage, l’expertise, le diagnostic, le magasin de pièces, la mécanique, la carrosserie-peinture, la cosmétique, le contrôle qualité, le laboratoire photos, etc. Comme dans un modèle industriel, c’est l’art et la manière de déplacer les voitures en évitant les croisements et le retour en arrière, tout en minimisant le déplacement des hommes. «Tous les process VO doivent être scrupuleusement analysés pour être le plus efficace possible », prévient André Courtois.
- Les flux de communication. La perte de temps est également à proscrire dans le dialogue entre tous les intervenants : c’est s’interroger sur comment la transmission des informations et des directives va être transmise, entendue et perçue entre les chefs et les sous-chefs, les sous-chefs et les techniciens, et à l’aide de quel moyens. « Si les responsables sont installés dans des bureaux et tournent le dos à l’usine, le fonctionnement sera altéré. Il y a là aussi un changement d’habitudes car la factory est centrée sur le véhicule et non sur le client. Les flux de communication sont invisibles mais ce sont eux qui vont faire tourner la boîte », assure-t-il.
- Le travail. Comme l’a certifié André Courtois, le volume va définir le projet de création dans sa globalité. Sur les ressources humaines aussi. Le volume horaire des collaborateurs est prédominant. Le patron de Weinmann définit ainsi avec ses clients le nombre d’équipes nécessaires (soit une, en 2x8 ou en 3x8), tout comme le nombre des postes de travail qui doivent être affiliés par activité. Qu’il parte avec ses clients d’une construction (terrain vierge) ou d’une transformation (site existant), il se dit aussi capable de dimensionner le nombre de places de parking utiles au bon fonctionnement du centre, le nombre de ponts, de cabines de peinture, etc.
- Le cahier des charges. « C’est tout sauf un long fleuve tranquille de faire passer un maximum de voitures en un minimum de temps avec un niveau de qualité bien défini », avance l’expert. Selon lui, le cahier des charges détermine la typologie des véhicules à traiter, récents ou plus âgés, et quelle limite, mais aussi le mix des véhicules par prestation. « En carrosserie par exemple, il y a des flux courts et des flux traditionnels. Les standards vont définir la séparation des deux et ordonner le passage des voitures en temps masqué pour faire autre chose et ainsi éviter tout étranglement », affirme André Courtois. Et de renchérir : « le cahier des charges va permettre de savoir si l’on ne veut plus aucune rayure ou si l’on accepte de vendre des VO avec quelques petits défauts qu’on rendra apparents en photo, etc. La qualité est le nerf de la guerre, mais la finalité pour le client est de vendre avec une marge, donc il est important de bien définir son cahier des charges ».
- Le benchmark. André Courtois met un point d’honneur à prendre la température sur ce qu’il se fait du côté des concurrents. « Tous ne livrent pas leur recette, mais il y a de la bienveillance dans le milieu. Il est important de travailler sur le retour d’expérience des uns et des autres car on s’améliore en permanence et cela peut profiter à chacun. Aborder un projet de telle envergure seul est risqué. S’entourer de partenaires, des meilleurs, va booster le projet, quitte à y mettre beaucoup d’argent ».

Exemple : un centre VO à 5 000 voitures va nécessiter a mimima une cabine de peinture, deux aires de préparations, un one day repair et un laboratoire avec une équipe en 2x8, pour un montant de près d’un million d’euros pour le matériel (ponts, adas, lavage, géométrie, labo photo) dont environ 400 000 € de carrosserie, hors bâtiment.
Des grosses usines à des millions d’euros
Concernant l’investissement, il est aléatoire car c’est en faisant du volume que l’on couvre les charges et que l’on devient rentable d’après les dires d’André Courtois. Prenons le cas de Renault. Sa Factory VO de Flins (Yvelines) a nécessité 8 millions d’euros pour un objectif de 45 000 véhicules traités par an en appui d’une équipe en 3x8 d’ici à 2023. De son côté, Emil Frey et BCAuto Enchères ont injecté 6 millions d’euros (hors murs) dans leur CRVO à Ingrandes (Vienne) pour une pleine capacité annuelle de 30 000 unités. Pour ce dernier, 4 autres fabriques à VO devraient voir le jour d’ici à 2024, à raison de 20 millions d’euros d’investissement chacune, et de 45 000 VO reconditionnés pour la 2e de la série à Lens (ouverture au printemps 2022).
« Les usines sont de plus en plus grosses car le ROI est beaucoup plus facile à calculer sur des gros volumes, même si c’est plus difficile à mettre en œuvre. Nous sommes encore dans une ère de tâtonnement, nous verrons bien qui seront les survivants », regrette André Courtois.

Outre le business juteux qu’elles peuvent lui apporter, cet expert voit toutes ces créations d’un bon œil, notamment d’un point de vue sociétal : « Nous revendiquons depuis longtemps ces évolutions métiers après-vente et la montée en compétences, le VO va en être le principal accélérateur. Nous entrons dans une ère de professionnalisation, beaucoup plus saine à mon sens, et on va s’émanciper un peu de l’artisanat qu’on a toujours connu. Certains ateliers sont déplorables car non sécuritaires, digitalisés et respectueux de l’environnement. Chaque centre qui se crée se fait en général dans les règles de l’art, quelques millions d’euros sont investis donc tous ces créateurs seront sensibles à tous les points évoqués précédemment ».
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