Pièce automobile d'occasion : encore un gros gisement à explorer
La pièce d'occasion a toutes les raisons de gagner des parts de marché. A deux conditions : oublier définitivement qu'elle n'a rien en commun avec la pièce neuve et faire en sorte que les réparateurs leur accordent plus d'importance.
Entre 1,1 et 1,4 millions de véhicules hors d'usage sont démontés dans les centres VHU chaque année en France
Depuis trente ans, aller s’approvisionner dans une casse pour réparer son véhicule ou utiliser une pièce technique en échange standard est d’usage dans la réparation. Mais depuis août 2015 et la fameuse loi Royal relative à la transition énergétique, les pièces issues de l’économie circulaire (Piec) pour la remise en état d’un véhicule disposent d’un cadre légal. Sans compter que, depuis 2015, entre décrets et arrêtés, la loi a subi quelques ajustements. In fine, depuis le 1er avril 2019, les réparateurs sont enfin fixés sur la façon dont ils doivent informer le client de son droit à opter pour des Piec dans le cadre d’une réparation de son véhicule. « La loi, aujourd’hui, n’oblige pas à faire un devis spécifique à la Piec, mais à informer l’automobiliste que le réparateur peut faire un devis en pièce d’occasion. Et c’est l’automobiliste qui décide, explique Johan Branca, directeur d’Opisto, site Internet spécialisé dans la pièce d’occasion. Si le garagiste ne tient pas ce rôle d’informateur, pour le moment, il ne risque pas grand-chose, car le décret a été retiré dans l’arrêté du 1er avril 2019. Le risque, c’est un simple rappel à la loi s’il a un contrôle de la part de la DGCCRF [répression des fraudes]. »

Avant la mise en place de ce fameux cadre réglementaire, la pièce d’occasion représentait à peine 2 % du marché de la réparation. Aujourd’hui, les acteurs qui se sont organisés autour de ce marché l’estiment entre 4 et 5 %. Loin, très loin, de certains marchés, bien plus matures sur le sujet. « Aux États-Unis, ça fait soixante-dix ans que les réparateurs sont organisés autour de cela, avec Hollander et LKQ. Les pièces n’y sont pas soumises aux dessins et modèles, ce qui facilite le développement de la pièce d’occasion. De fait, la Piec pèse 22 % du marché », souligne Loïc Bey-Rozet, directeur général d’Indra Automobile Recycling. A terme, en France, les professionnels tablent sur une part de marché de la Piec de quelque 10 %. Mais avant d’en arriver là, la route risque d’être semée d’embûches.
Comparaison malvenue

Premier point d’achoppement pour le développement de la Piec : le gisement de pièces. Certes, les acteurs de celles d’occasion ont connu une mini-révolution ces dernières années. En moins de trois ans, le centre VHU qui vendait ses pièces au comptoir s’est transformé en véritable pure player-distributeur-logisticien de la pièce de réemploi. En effet, Indra, avec Précis, Opisto, avec Opisto Pro, ou encore Caréco ont créé, via leurs sites Internet spécialisés et à l’échelon national, de véritables places de marché de la pièce d’occasion. Mieux référencées, plus facilement traçables, les pièces sont désormais visibles en temps réel et peuvent être commandées d’un bout à l’autre de la France.
« La difficulté dans la Piec, c’est sa qualification et sa traçabilité, explique Loïc Bey-Rozet. Chez Précis, on associe un numéro de pièce à un numéro de châssis et cela va donner toutes les informations sur le véhicule. Pour pouvoir tout référencer, nous nous sommes associés à Sidexa, qui couvre 95 % du parc mondial, ce qui nous permet de nous appuyer sur une valeur sûre. D’ailleurs, l’entretien de leur base coûte 100 M$ par an ! Précis, c’est 60 démolisseurs et un stock mutualisé de 530 000 pièces. La traçabilité, la qualité de la pièce, le stockage, l’adressage, tout cela a obligé les démolisseurs à repenser leur métier. »
Même son de cloche chez Opisto, qui, grâce à son logiciel, rassemble, sur Opisto Pro, 440 centres, soit environ la moitié des véhicules hors d’usage traités chaque année dans l’Hexagone. Un bel exemple de structuration du marché, qui laisserait presque imaginer un copier-coller de l’écosystème de la pièce neuve. Mais non. Et c’est bien là le problème.
« Une pièce par an et par véhicule »

La pièce de réemploi ne pourra surtout jamais rivaliser avec le gisement de pièces neuves. Lors d’une conférence sur le sujet lors du dernier Equip Auto, Patrick Poincelet, président du métier recyclage des véhicules hors d’usage au sein du CNPA, a été clair : « Les recycleurs ont fait un énorme travail de restructuration, mais la PRE ne sera jamais une alternative totale à la pièce neuve. Il y a 40 millions d’ordres de réparation émis par an en France et seulement 1,4 million de véhicules démontés, soit moins d’une pièce proposée par an et par véhicule ! C’est donc un marché complémentaire, mais pas un produit de substitution à une pièce neuve. »
La prime à la conversion aurait pu permettre une plus grande disponibilité des PRE. Pourtant, pas vraiment. « En fait, cet apport conséquent de véhicules, c’est surtout beaucoup de gaspillage, car les centres ont moins de temps pour démonter et, par conséquent, le prix de la matière chute. Comme ils ne peuvent pas absorber tous les volumes, il n’y a pas eu un bond significatif de la Piec, d’après les remontées du terrain et le ressenti des démolisseurs qui nous sont parvenus. Du coup, là où ils auraient pu avoir des pièces plus récentes, de meilleure qualité, avec le volume, ils n’ont pas eu le temps de valoriser les VHU en Piec », déplore Johan Branca. Bref, en France, les véhicules détruits sont âgés, en moyenne, de 17,8 ans, alors que le parc roulant, lui, a moins de 9 ans. Moralité : ce sont quelque 17 millions de voitures de plus de 10 ans sur le parc que ciblent les pièces de réemploi, pas les véhicules récents.Des réticences qui ont la peau dure

Autre point d’achoppement au développement de la Piec : les réticences des réparateurs. D’une part, parce que la pièce n’est pas toujours disponible ou livrable dans des délais auxquels le réparateur est désormais habitué. D’autre part, parce que le gisement n’est pas illimité. Enfin, parce que les prix d’une pièce de réemploi sont beaucoup moins élevés que ceux d’une pièce neuve : entre – 40 et – 70 %, selon les produits. « Finalement, les grands gagnants, ce sont les assureurs, constate Patrick Poincelet. Or leur rôle, c’est quand même de faire en sorte qu’ils nous permettent de bien travailler, y compris sur la Piec. Mais 50 % du chiffre d’affaires des entreprises de recyclage est réalisé sur le moteur et la boîte de vitesses. Dans les centres, la pièce de réemploi est donc majoritairement mécanique et les assureurs se concentrent surtout sur la pièce de carrosserie. S’ils prenaient aussi en compte cette notion de mécanique, il y aurait sans doute plus de marges pour les réparateurs, donc plus d’incitation, pour eux, à travailler la Piec. »
Alors, même si les acteurs de la pièce d’occasion se professionnalisent et enregistrent des croissances record – Précis réalisait lors de sa création, il y a cinq ans, 36 000 € de chiffre d’affaires, lequel est aujourd’hui de 5,6 M€ –, même si la structuration des centres VHU, notamment sur le Web, qui pèse environ pour 13 M€ sur l’économie totale de la Piec, les chevilles ouvrières au développement de cette dernière sont encore bel et bien les artisans réparateurs eux-mêmes. « Cela accélère pas mal, mais il faut que les gens l’acceptent, car tout le monde n’est pas prêt à ce type de réparation, souligne Loïc Bey-Rozet. Tout ça doit encore se mettre en place, même si la révolution de la commercialisation de la pièce est déjà bien avancée. Nous sommes passé d’une distribution locale à une distribution nationale. Donc, il faut embarquer des choses dans le cahier des charges, des choses qui ressemblent à de la commercialisation de pièce neuve, la livraison en 48 heures, par exemple. Cela s’installe gentiment mais sûrement sur le marché français. »