Pièces de rechange auto : mariage forcé entre Opel et PSA Distrigo
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Pièces de rechange auto : mariage forcé entre Opel et PSA Distrigo

Suite logique dans la phase d'intégration d'Opel-Vauxhall dans le groupe PSA : l'arrivée des pièces Opel dans les plaques Distrigo. Une synergie loin de créer l'enthousiasme. Témoignages à visages cachés.

Par Ambre Delage
Publié le

Selon un concessionnaire Opel, « La rentabilité globale des plaques PR Distrigo est de l'ordre de 1,5 %, alors que le business plan annoncé par le groupe PSA faisait plutôt état de 2,5 à 3 %. »

Lorsque PSA officialise l’intégration des pièces de rechange Opel dans ses plateformes de distribution de pièces Distrigo, lors du salon Equip Auto 2019, Christophe Musy, directeur pièces et services de PSA, n’hésite pas à souligner le caractère positif de cette synergie aux yeux du réseau Opel en France : « Nous avons réussi cette transition pour Peugeot et Citroën. Ça n’est pas passé inaperçu. Les distributeurs Opel ont des compensations financières et ils ont vu l’intérêt de ne plus gérer la logistique des pièces, tout en récupérant des surfaces chez eux pour développer d’autres activités, le VO, par exemple. » Pourtant, dans les faits, cette intégration, effective depuis le 1er janvier, semble loin de soulever l’entière approbation des concessionnaires Opel. Le sujet est bien plus sensible qu’il n’y paraît. Au point d’ailleurs que la plupart de nos interlocuteurs ont préféré nous faire part de leurs doutes sous couvert d’anonymat.

 

En octobre dernier, Marc Bruschet, alors président du Groupement national des concessionnaires Opel, émettait d’ailleurs quelques réserves dans les colonnes de L’argus :

« Mon intérêt est que le réseau soit accompagné dans cette transition, qui est très importante, parce que la part des pièces de rechange dans le résultat total de la concession est nettement supérieure chez Opel à celle dans les réseaux Peugeot, Citroën et DS. Le passage aux plateformes Distrigo engendre pour le réseau une perte de rentabilité, c’est très clair. »

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Des ricochets sur la marge

Le site Distrigo de Paris Sud et une partie de sa flotte de livraison

Concrètement, avec cette intégration, les concessions Opel perdent leur activité de ventes de pièces aux professionnels et, par ricochets, la marge qui en découle. « La moyenne de la rentabilité du réseau Opel, ces cinq dernières années, se situe dans le quatrième quartile et cette rentabilité est fortement impactée par celle des pièces. Beaucoup plus que chez Peugeot et Citroën. La crainte du réseau est que ça va avoir un impact négatif sur nos concessions », explique un distributeur. Car cette activité pouvait peser pour plus de 50 % dans le chiffre d’affaires de certains concessionnaires Opel.

« Moi, je faisais 3 M€ de chiffres d’affaires sur la pièce dans ma zone de chalandise et dans mes ateliers. Je vais y perdre, car je ne maîtriserai plus le chiffre à l’extérieur. J’estime que cette perte sera de l’ordre de 1,5 M€ dans mes ateliers », assure un autre de nos interlocuteurs.

Bien sûr, les groupes de concessions qui se sont aussi dotés de plaques Distrigo devraient être, eux, moins impactés. Mais dans ce cas aussi, quelques doutes subsistent : « Aujourd’hui, un quart des plaques sont PSA Retail et trois quarts, des privés, poursuit le concessionnaire. Mais la rentabilité globale des plaques PR Distrigo est de l’ordre de 1,5 %, alors que le business plan annoncé par PSA faisait plutôt état de 2,5 à 3 %. Et il ne s’agissait pas des hypothèses les plus favorables. La politique mise en place cette année ne laisse pas imaginer que ça va s’améliorer, car le constructeur tire toujours plus sur les conditions. »

Bonne nouvelle pour les distributeurs Distrigo

Certains sites Distrigo appartiennent à PSA Retail. C'est le cas du centre de Yerville, en Seine-Maritime.

Certes, même si la rentabilité des plaques Distrigo n’est pas au niveau attendu, elles ne perdent pas d’argent, et c’est là l’essentiel. D’autant que l’arrivée des pièces Opel en leur sein va sans doute leur permettre de consolider les volumes.
C’est une bonne nouvelle pour les distributeurs Distrigo, un peu moins pour les concessionnaires. D’autant que, dans le même temps, PSA met en place une politique d’alignement des prix entre toutes ses marques. « Mais nous n’avions pas du tout les mêmes marges chez Opel et nous allons quand même devoir nous aligner au niveau des marges des pièces PSA. Par exemple, nous avions 40 % sur une pièce, depuis, nous sommes passés à 25 % le 1er janvier. La moyenne de décalage des grilles de remises est d’au moins 15 %. Evidemment, il y a une volonté d’harmonisation, c’est logique, mais le moment est quand même un peu mal choisi », s’agace un concessionnaire.

Un plan de compensation

Cette perte de rentabilité dont font état les concessionnaires Opel doit théoriquement être compensée par un plan d’accompagnement de dix-huit mois. En effet, ce dispositif permettra de limiter les pertes via des niveaux de marges arrière additionnelles mis en place durant cette période. Mais pas seulement. Car pour compenser, PSA demande explicitement aux concessionnaires Opel de réaliser quelques économies de structures afin de limiter les frais fixes, jugés trop élevés, et de diversifier leurs activités dans l’occasion, le lavage, la carrosserie...

Un nouveau point d’achoppement, que soulevait déjà Marc Bruschet en octobre dernier : « L’origine du décalage au niveau des frais fixes entre la France et les autres pays européens s’explique en grande partie par nos structures immobilières, qui ont été calibrées pour un objectif de 6 à 7 % de part de marché, que l’on atteignait à la fin des années 1990. Or, depuis plusieurs années, nous sommes plutôt entre 3 et 3,5 %. Il va donc être difficile de réduire de manière sensible les frais fixes. Je ne peux pas couper mon bâtiment à la tronçonneuse ! Nous avons tous des gains à générer, c’est une évidence, mais ils seront marginaux. »

"Développer d'autres activités"

Stockage de pneus dans un centre Distrigo.

Si l’idée semble logique sur le papier, dans les faits, les réalités économiques sont tout autres. « On nous a demandé de faire des économies de surface de magasin, mais se diversifier implique des coûts de transformation et c’est très lourd en investissement, surtout qu’on ne stocke pas des pièces comme on expose des VO. L’amortissement se fait au mieux entre quatre et cinq ans avant de gagner de l’argent. C’est facile de dire qu’il n’y a qu’à faire ci ou ça, mais il y a des réalités économiques à prendre en compte », juge l’un de nos concessionnaires témoins.

« Pour compenser l’activité perdue dans les concessions, il va donc falloir développer d’autres activités et immédiatement réduire les coûts, ce qui est paradoxal ! ajoute Christophe Maurel, président de Maurel Holding et l’un des rares distributeurs à avancer à visage découvert. Donc, en gros, vous devez arriver à réduire les charges de structures pour compenser la perte de ventes aux pros et vous devez développer dans le même temps d’autres solutions commerciales. Mais là, ce n’est pas gratuit et en plus, il faut que ce soit vite rentable ! En fait, il faut réduire la voilure sur les métiers qui restent, c’est un pari. Mais sur les métiers traditionnels, si vous êtes déjà bons, vous ne pouvez pas faire davantage de miracles et il en manquera quand même un bout au final. » Sans compter que la perte d’activité liée aux pièces de rechange devrait aussi avoir un autre impact, social celui-là.

Economie de personnel ?

Pour tous nos concessionnaires anonymes, la seule économie immédiate qui permettrait de compenser a minima, en plus des marges arrière consenties par PSA, c’est... l’économie de personnel ! Qui dit moins d’activité pièces, dit aussi moins de salariés. Bien sûr, le postulat consiste théoriquement à replacer les sureffectifs des concessions Opel ailleurs, dans le groupe, soit au sein des marques, soit dans les plaques Distrigo. Encore faut-il être mobile ou en accord avec les éventuelles propositions de reclassement de PSA.

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« Pour la partie RH, il y a quand même une obligation de reprise des effectifs, c’est le préalable, indique Christophe Maurel. Mais concrètement, les opérations menées au niveau social se traduisent par une concentration des effectifs, car les salariés ne sont pas forcément mobiles. Par rapport à ce que j’entends dire autour de moi, chez mes confrères, il va y avoir entre 15 et 20 % d’érosion sociale. Ce qui est sûr, c’est que le chiffre d’affaires moyen réalisé par un collaborateur en pièces a explosé. On est au-delà de 1 M€ de CA par personne, alors qu’on était plutôt à 600 000 € d’ordinaire. C’est donc bien qu’il y a déjà eu une perte de personnel. Les gens non mobiles, qui travaillent comme manutentionnaires par exemple, n’ont pas forcément suivi la manœuvre. Chez nous, ils étaient trois à l’origine, depuis janvier, il n’en reste qu’un. Les autres n’ont pas voulu suivre et ont démissionné ou demandé une rupture conventionnelle. »

Un non-sens pour les concessionnaires

Là encore, réaliser des économies, quand l’hémorragie de personnel promet d’être forte au sein des structures Opel, apparaît comme un non-sens pour les concessionnaires de la marque, qui, pour certains, doivent déjà mettre la main au portefeuille pour payer les frais de licenciement ou de rupture de contrat.

On l’aura compris, l’intégration des pièces Opel dans les plaques Distrigo est loin d’être vécue comme une promenade de santé. Signe du malaise ou malheureux concours de circonstances, depuis plusieurs mois, les concessions Opel sont rachetées à tour de bras par des groupes de distribution PSA. « Une érosion qui a tendance à s’accélérer », témoigne un interlocuteur. Difficile, pour autant, de tirer un bilan réel d’une telle synergie à peine deux mois après sa mise en application. D’ailleurs, à date, PSA se refuse à tout commentaire, estimant qu’il est trop tôt et qu’il sera toujours temps de s’exprimer sur le sujet dans un ou deux mois, « mais pas avant ! ». Rendez-vous est pris.

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"Nous voyons cette intégration comme partenariat supplémentaire"

Florence Gète, présidente du groupement des agents Peugeot.

Florence Gète, présidente du groupement des agents Peugeot.

Quel regard portez-vous sur la distribution de pièces Opel à travers Distrigo ?

Cela nous semble plutôt positif. Nous allons avoir accès plus facilement à une plus grande gamme de pièces, nous allons donc pouvoir potentiellement en vendre plus, ce qui est toujours une bonne nouvelle. Cela dit, dans le réseau, les pièces Opel représentent une part ténue de notre activité. Nous avions surtout peur que le groupe nous impose de travailler avec ces produits-là et de nous servir chez eux, avec des objectifs calculés sur ces volumes supplémentaires, mais ça n’a pas été le cas. Du coup, nous voyons plutôt cette intégration comme un partenariat supplémentaire.

Cela vous rappelle-t-il l’époque de la fusion Peugeot-Citroën ?

Oui, c’est finalement assez redondant. En revanche, il y a une véritable accélération dans la concentration des équipes, c’est donc davantage en termes de RH que cette intégration d’Opel-Vauxhall a un impact. Tout va très vite en termes de concentration des affaires et des méthodes, car le groupe est rompu à l’exercice, mais les salariés, eux, doivent suivre à la même vitesse et être sur toutes les marques en un temps record… Le risque, c’est que l’on devienne tout petit au milieu d’un tout, car à chaque intégration de marque, ça diminue notre poids. Avant, au sein du groupe, la France donnait son avis et les autres pays suivaient. Maintenant, dans une négociation, nous sommes juste une partie d’un tout. PSA est devenu un groupe mondial.

Pensez-vous, justement, que cette intégration des pièces Opel est symptomatique de ce phénomène de concentration ?

Oui. Se concentrer, c’est devenir plus gros. Or aujourd’hui, la concentration des groupes de concessions plus des plaques PR font des entreprises gigantesques. Avant, nous avions encore des groupes à taille humaine. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Une agence ne représente plus grand-chose dans les groupes tels qu’ils sont devenus. Il y avait un équilibre des relations, désormais, c’est beaucoup plus compliqué.
 

 
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