Stocks, délais de livraison : inquiétude chez les distributeurs autos
Les stocks VN sont bas, les livraisons et les approvisionnements posent problème. Le passage à Euro 6 D-full, le mix pour atteindre le règlement Cafe et la remontée en cadence des usines font courir le risque d'une fin d'année calamiteuse. Le point chez les marques automobiles françaises.
Inquiétude chez les distributeurs automobiles : "Notre objectif est inaccessible, sauf à anticiper artificiellement des livraisons en immatriculant les autos non réceptionnées", un distributeur Peugeot.
Les stocks de voitures neuves disponibles à la vente au sein des réseaux sont très bas. Au sein des marques françaises, le constat fin septembre était le suivant : la baisse des stocks disponibles allait de – 20 à – 85%, la moyenne étant proche de – 50% pour le panel de L’argus. « En vingt-cinq ans de métier, je n’ai jamais eu aussi peu d’autos sur mes parcs VN, commente un investisseur du réseau Peugeot. J’ai 15% de mon stock habituel.» « Nous avons deux tiers de stock disponible en moins par rapport à septembre 2019», précise un confrère. Chez Citroën, le problème est moins intense, en raison de la moindre attractivité d’une partie de la gamme : de – 15 à – 35%, selon les opérateurs. Chez DS, le stock a diminué de moitié.
« Reste un stock mal composé »
Au sein du groupe Renault, le problème est identique. « Le stock VN des affaires du groupe a fondu de 50% par rapport à septembre 2019 », souligne un directeur général. Un confrère évoque «– 20 à – 25% de stock disponible, car nous avions forcé les approvisionnements en sortie de confinement, ce qui nous sert encore un peu aujourd’hui » : « Mais le stock disponible n’est pas bien composé. Nous n’avons plus de Clio, plus de Captur, plus de Sandero, il nous reste des Talisman et des Scénic. Il sera donc très difficile de le vendre. »
Les constructeurs ont tendance à minorer le problème, car ils n’auraient pas, aux dires du terrain, la même vision des stocks physiques. Chez Peugeot, par exemple, la marque fait état d’une baisse de 17% seulement du stock VN de son réseau fin août (29 936 VP-VUL, contre 36 050 un an avant). « C’est parce que ne sont comptabilisés que les stocks contremarqués. Le constructeur n’a pas la vision des stocks disponibles au sein du réseau », affirment nos correspondants.
Au-delà du marché euphorique d’après-confinement, pourquoi les stocks disponibles sont-ils aussi bas ? « Parce que nous ne pouvons plus nous approvisionner correctement ! » s’exclament les distributeurs. Chez Renault, « quand nous allons sur Distrinet, le système de consultation des livraisons et des délais VN, nous constatons qu’il n’y a plus de Clio diesel, plus de Captur diesel, témoigne un directeur de site opérationnel. Pour d’autres modèles, les productions sont maintenant livrables en janvier 2021. Les Clio E-Tech et Captur E-Tech sont, eux, disponibles. Nous devons par conséquent transformer des ventes de thermiques en ventes d’hybrides sans délai, alors que ces véhicules sont plus coûteux pour les clients. Ça va être très dur...»

Des constructeurs automobiles qui souffrent
L’explication se trouve dans les notes internes de Renault à son réseau («Transition Euro 6 D-full », septembre 2020) : « Réduction de la diversité moteurs au passage D-full ; désinvestissement progressif sur le diesel et les segments en baisse. » Ainsi, les Clio VP et société dCi 85 ch et 105 ch sont désormais indisponibles et ne seront produites en Euro 6 D-full qu’au second semestre de 2021, sans date de disponibilité dans Distrinet (voir le tableau). « Nous sommes en phase de déstockage des Euro 6 D-temp, explique le réseau. Les commandes que nous saisissons dans le système informatique sont presque toutes en Euro 6 D-full. La bascule est en cours, le constructeur priorise ses propres déstockages. Certaines autos sont parfois indisponibles à la commande pour favoriser ces sorties. » Les refontes de gammes affectent beaucoup les disponibilités.
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Chez Peugeot, les livraisons et les approvisionnements souffrent à la fois d’un allongement des délais et d’un manque de fiabilité de ceux prévus. « La marque annule des fabrications, témoigne ce patron de groupe. Les 2008 à toit ouvrant ou Puretech 130 ch BVA sont indisponibles, on doit absolument vendre des 120 ch BVM6. Pour un Expert long, c’est de quinze à dix-huit mois de délai. Peugeot semble “monitorer” au maximum les productions, nous subissons et perdons du crédit avec nos clients. » Globalement, les délais s’allongent assez sérieusement. « En interrogeant notre outil Commerce Box, on s’aperçoit qu’on dérape d’un bon mois supplémentaire sur 208, 2008, 308 et 3008, liste un distributeur. Pour une commande au 21 septembre, le délai s’allonge à décembre prochain et à janvier 2021 pour tous les modèles thermiques, quelle que soit la motorisation. » C’est beaucoup, mais pas insurmontable. « Pour les clients, ce qui pose problème, c’est la fiabilité des dates promises, aléatoire pour au moins un tiers des véhicules. Soit l’auto arrive en avance et la facturation est déclenchée même si le client ne vient pas la chercher, soit, cas général, elle arrive en retard et nous devons gérer ça avec le client, en plus de l’aléa sur l’objectif commercial. »
Tensions logistiques

S’ajoute, chez Peugeot, le constat d’une performance erratique du logisticien du groupe, Gefco, qui, depuis la fermeture de centres logistiques régionaux, ne parvient plus à livrer avec fiabilité. « Les productions espagnoles nous parviennent directement de l’usine de Vigo, il n’y a aucun stock tampon en France, cite en exemple un investisseur. Nous sommes donc à la merci de tout aléa de production ou de transport. Une livraison peut durer jusqu’à trois semaines, qui s’ajoutent aux délais du calendrier industriel. » En conséquence de ces aléas de la supply chain, le portefeuille de commandes grossit sans cesse. « C’est normalement une saine maladie, mais là, c’est deux mois et demi d’avance avec de grandes difficultés à livrer, poursuit ce correspondant. Au sein de notre groupe, fin septembre, les véhicules non livrables représentent un tiers de notre objectif. Autant dire que ce dernier est inaccessible, sauf à anticiper artificiellement des livraisons en immatriculant les autos non réceptionnées. »
Chez DS, c’est plutôt le boom des véhicules électrifiés qui a pris l’industriel – et donc le réseau – de court. Les délais s’allongent considérablement sur les gammes E-Tense, DS3 Crossback E-Tense électrique et DS7 Crossback E-Tense hybride rechargeable. « Ces allongements sont problématiques au point d’enregistrer des annulations de commandes, pointe ce patron de plaque d’un groupe majeur. Des commandes de la période décembre 2019 à février 2020, livrables initialement en mai-juin, ont été repoussées en octobre-novembre, voire au début de 2021.» La crise sanitaire est passée par-là, « mais les explications manquent, il semble qu’il y ait des difficultés à livrer les composants électrifiés », souligne un concessionnaire. Pour les véhicules thermiques, l’arrivée de 200 intérimaires à Poissy permet dorénavant de raccourcir les délais.
Le double handicap de l’anticipation
Chez les grands réseaux généralistes, Volkswagen, Fiat, Ford, Opel, Toyota, les stocks disponibles représentent environ 45% des ventes mensuelles totales. « Une diminution de moitié de ces stocks et c’est immédiatement une performance de volume en retrait de plus de 20% sur un mois », souligne un correspondant.
« Nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs en septembre, c’est déjà écrit, affirment les distributeurs Peugeot. La seule solution pour nous serait d’anticiper des immatriculations non livrées ou en transport vers nos parcs, mais cela a un double handicap : d’une part, le constructeur nous prélève le prix de la voiture, alors que le client ne l’a pas encore payée, d’autre part, l’anticipation altère d’autant la performance du mois suivant. »L’autre solution consiste à ne pas anticiper, avec le risque majeur de ne pas toucher de prime d’objectif, et espérer négocier avec la marque une réduction des objectifs. C’est tout le travail actuel des groupements de concessionnaires.
Les groupes sont inquiets, à l’image de cet opérateur Renault-Dacia : « Il nous manque des véhicules livrables, nous sommes actuellement incapables de réussir notre objectif de la fin de septembre. On ne pourra pas non plus fin décembre. Il faudra que Renault revoie ses ambitions ou on n’y arrivera pas. » Un de ses confrères veut rester optimiste : « Cela dépend aussi de notre capacité à vendre des hybrides et des électriques. Malgré tout, il est raisonnable de penser qu’on ne convertira pas tous les clients du véhicule thermique. »
Marques importées : la météo des livraisons

AUDI
Les délais de livraison des commandes saisies après le 15 septembre sont quasiment tous calés début 2021. Les « appros » de stock sont erratiques.
BMW
Les soucis de livraisons n’affectent pas sensiblement les VN contremarqués, selon les distributeurs, mais les approvisionnements de stocks VN sont contingentés et occasionnent des fortes baisses de vente sur stock. Les « appros » en VO récents ne peuvent pas compenser : il n’y a plus de stock chez BMW France.
FIAT
Les difficultés sont à venir. Le constructeur veut les ratios de stock les plus faibles possibles dans le réseau avant l’alliance entre FCA et PSA. La nouvelle 500 électrique a été décalée à novembre, après avoir été reportée à octobre.
FORD
Le Kuga PHEV souffrait de longs délais jusqu’à la fin d’août. Ils sont aujourd’hui résolus. Les produits sont disponibles. La gamme Ford ne présente pas d’anomalies majeures sur les délais, selon
nos correspondants.
HYUNDAI
Problème modéré. Pour i20 et Tucson II : les run-out des modèles actuels s’achèvent, les nouveaux modèles arrivent, les trous de stock sont temporaires.
KIA
Les approvisionnements correspondent globalement au rythme des commandes clients. Les disponibilités sur le stock central du Havre ne causent pas de retards particuliers, sauf pour l’e-Niro, best-seller de la gamme depuis juin en commandes (jusqu’à quatre mois d’attente). Pour les nouveaux XCeed PHEV et Ceed break PHEV, les productions ont démarré en Europe, les délais de transport ne génèrent pas d’inquiétude particulière.
MERCEDES-BENZ
Les PHEV (gamme EQ) posent problème. « Le constructeur en réduit les spécifications techniques », ont constaté les concessionnaires. Les délais de livraisons dépassent fréquemment trois-quatre mois.
NISSAN
Les disponibilités sont bonnes sur le nouveau Juke et le Qashqai (fin novembre, début décembre). La Leaf 40 kW ou 62 kW est livrable sans contrainte. Le passage à Euro 6 D-full pose malgré tout des problèmes de visibilité à l’occasion du remplacement des motorisations. Ainsi, les dates de livraison sont non disponibles pour le Qashqai D-full.
OPEL
Les soucis recensés par le réseau concernant les livraisons de VN sont fréquents, mais davantage dus à des problèmes d’organisation interne qu’à des manques d’autos. « L’administration des ventes est chaotique en ce moment. Les problèmes de disponibilité et de trou dans les gammes s’accumulent », regrette le panel.
SEAT-SKODA
Les approvisionnements VN (stocks hors contremarques) ne sont servis qu’à hauteur de 60-70% des commandes jusqu’en fin d’année. Les gammes électriques (Superb, Octavia, Leon EV) génèrent des délais considérables, jusqu’à dix mois d’attente. Les marques stoppent les plans promotionnels sur les gammes électriques.
VOLKSWAGEN
Le système de réservation donne des dates de livraison fréquemment décalées ; les concessionnaires doivent reporter les mises en mains des clients. C’est un problème récurrent depuis des mois. Les commandes de stock ne seront servies qu’à hauteur de 60-70% jusqu’à la fin de l’année, les performances commerciales en pâtiront.