Véhicule électrique : quels impacts pour l'après-vente automobile ?
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Véhicule électrique : quels impacts pour l'après-vente automobile ?

A quel point les activités après-vente vont-elles être touchées par l'électrification du parc automobile français ? Une étude prospective publiée par la Feda (fédération de distributeurs de pièces) ouvre des pistes pour les quinze prochaines années.

Par Emmanuel Taillardat
Publié le Mis à jour le

Une prise de recharge électrique dans un garage automobile

D. R.

Les professionnels de la distribution automobile, réseaux de concessionnaires et agents, le constatent déjà : les véhicules électriques (VE) et électrifiés font désormais partie du paysage sur le marché du neuf. C’est même d’un boom, porté par les mesures gouvernementales, qu’il faut parler en immatriculations et qu'il ne faut pas réduire à la France, puisque les motorisations propres se distinguent partout en Europe.

L’inclusion dans le parc circulant automobile français (plus de 40 millions de VP et 7 millions de VUL) est évidemment beaucoup plus lente, ce qui induit les professionnels de l’après-vente à se demander quand ces VE se retrouveront en nombre dans les ateliers pour leur maintenance. Les chiffres d’affaires seront-ils impactés, vont-ils diminuer et si oui, dans quelles proportions ? A l’origine de ces interrogations, l’affirmation, peu documentée, selon laquelle le coût d’entretien des autos électriques ou électrifiées est beaucoup plus bas que celui des thermiques, générant un effondrement de l’activité des ateliers.

Le livre blanc de la Feda a été présenté mi-octobre 2020. Emmanuel Taillardat en est l'auteur. Contact : www.feda.fr.

La Fédération des entreprises de la distribution des pièces détachées et services automobiles (Feda) a porté pour la première fois avec précision ces questions dans le débat public, en publiant, mi-octobre 2020, le livre blanc «Véhicule électrique et électrifié : quels impacts pour les professionnels de la vente de pièces de rechange, de la réparation et de l’entretien automobile, à horizon 2035?».

Tous les acteurs de l’écosystème du véhicule électrique et électrifié ont été appelés à témoigner, en particulier les constructeurs, les équipementiers et les professionnels de l’après-vente. Une étude statistique a également été conduite par l’économiste et universitaire Bernard Jullien, livrant une prospective de l’inclusion de ces véhicules dans le parc circulant fin 2035. Cette même étude se consacre aux évolutions des chiffres d’affaires après-vente des principaux opérateurs.

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Modélisation et scénario


Les véhicules électriques et électrifiés vont prendre place dans le parc circulant à un rythme qu’il faut être capable d’anticiper pour en déduire les fréquentations futures des ateliers de réparation et le chiffre d’affaires des acteurs. C’est tout le sens de l’étude réalisée par Bernard Jullien. L’horizon choisi représente une génération, soit quinze ans. Une perspective suffisamment « impactante » pour susciter des bouleversements visibles dans le parc, car la durée de vie totale estimée d’un VP aujourd’hui est d’environ dix-neuf ans (selon le secteur du recyclage).

Dans les scénarios envisagés dans le livre blanc de la Feda, l'hybride rechargeable (ici, la Volkswagen Golf eHybrid) reste à 6 % du parc circulant.
Trois scénarios sont proposés dans une modélisation statistique prospective très détaillée. Quel que soit le scénario, l’inertie du parc est le déterminant d’une évolution lente, précisément mise en exergue dans cette étude. Avec un parc estimé à 39,7 millions de VP et un vieillissement toujours accru (l’âge moyen du parc réel est de plus de 10 ans et demi, en raison d’une « loi de survie » des véhicules en croissance), cette inertie entraîne des mouvements d’inclusion beaucoup moins violents que l’on ne pourrait le redouter.

Scénario bas

   Parc VP Part
Motorisations en 2036 en %
Toutes énergies 43 532 322 100
Essence 16 092 100 37
Diesel 16 378 217 38
VH (hybride) 3 948 943 9
VHR (hybride rechargeable) 2 728 994 6
VE (électrique) 4 384 068 10

Dans le premier scénario, l’électrique ne convainc pas vraiment les acheteurs. En 2035, le parc circulant serait encore constitué à 75 % de véhicules thermiques, avec un équilibre entre essence et diesel (incluant les technologies d’hybridation légère), et les électrifiés ne représenteraient que 25 % du parc total. « L’expansion du véhicule électrique resterait modeste, commente Bernard Jullien, auteur de l’étude. Ses usages seraient limités, en raison d’une faible adoption et d’investissements technologiques modérés, laissant de larges parts aux autres motorisations. Les politiques publiques relâcheraient la pression sur les constructeurs, en leur offrant, par exemple, des délais supplémentaires pour atteindre les objectifs de décarbonation. »


Scénario médian

   Parc VP Part
Motorisations en 2036 en %
Toutes énergies 43 532 322 100
Essence 19 974 320 46
Diesel 10 398 617  24
VH (hybride) 1 712 103 4
VHR (hybride rechargeable) 2 699 294 6
VE (électrique) 8 747 988  20

Dans le deuxième scénario, l’électrique est une des solutions dans un patchwork multi-énergies permettant aux constructeurs de respecter les réglementations de décarbonation (notamment le règlement Cafe à l’horizon 2030). Quelque 70 % du parc resterait thermique, mais dominé par les motorisations à essence, et la « dédieselisation » serait massive. Les électrifiés représenteraient 30 % du parc. « En raison des évolutions importantes du thermique à essence, doté d’aides à la traction de type “mild hybrid” de seconde génération efficientes, le diesel serait cantonné à 5 % des immatriculations dès 2027, le rendant minoritaire dans le parc circulant en 2035 (24 %), précise Bernard Jullien. Dans un premier temps, cette “dédiéselisation” profiterait aux hybrides, ensuite au véhicule électrique, qui prendrait le relais et représenterait 20 % du parc en 2035, car devenu compétitif face aux hybrides, avec ou sans prise. »

Scénario haut

   Parc VP Part
Motorisations en 2036 en %
Toutes énergies 43 522 322 100
Essence 15 848 990 36
Diesel 10 398 617  24
VH (hybride) 1 712 103 4
VHR (hybride rechargeable) 2 471 594 6
VE (électrique) 13 101 018 30

Dans le troisième scénario, la transition écologique impacte durablement les acheteurs et le VE s’impose comme le nouveau standard automobile. Même avec 80 % des immatriculations VN en 2035, le parc demeurerait encore composé à 60 % de thermiques, avec une prédominance de l’essence. Les VE représenteraient alors 30 % du parc sur un total de 40 % d’électrifiés. « C’est le scénario le plus optimiste pour le VE, devenu un standard pour les véhicules légers, indique Bernard Jullien. Les prix baissent, l’autonomie s’accroît, les temps de charge diminuent. Les alternatives au lithium-ion se dessinent et relèguent au passé les problèmes d’indépendance stratégique vis-à-vis des acteurs asiatiques et des fournisseurs de matériaux précieux, lithium ou cobalt. »

La rénovation des batteries pourrait devenir une activité après-vente structurée et rentable.

L'impact sur les chiffres d'affaires des ateliers automobiles


Sur la période étudiée, aucun scénario n’aboutit à une majorité de véhicules électrifiés dans le parc circulant en 2035, en raison de l’inertie et du vieillissement de celui-ci. Les mutations de l’électrification sont majeures, mais lentes, elles laissent aux pros le temps de les appréhender dès à présent. Cependant, elles donnent lieu à des surprises quant à l’évolution des entrées en atelier et du chiffre d’affaires, notamment en raison des tranches d’âge des véhicules fréquentant les ateliers. En synthèse : plus un canal d’entretien reçoit des véhicules électriques et électrifiés récents, plus son chiffre d’affaires à l’atelier devrait diminuer.

Au moment de calculer les évolutions des chiffres d’affaires dans les ateliers, liées à l’électrification, il faut avoir en tête que le parc automobile ne cesse de vieillir et de croître. Ce vieillissement constitue d’ailleurs l’unique source de croissance du parc dans les scénarios de l’étude, qui prend par ailleurs le parti d’une stabilisation des immatriculations annuelles à 2 millions de VP (et 365 000 VUL) jusqu’en 2036. Le parc VP progresse ainsi de 6,5 % entre 2020 et 2035 et celui des VUL, de 8 %. L’âge moyen continue par conséquent de croître et dépasse, en 2036, les 11 ans pour un VP. Par exemple, les autos de 16 ans et plus passent de 21,3 % du parc au 1er janvier 2020 à 27,3 % au 31 décembre 2035. Pour ces raisons, le parc circulant mute lentement. Cela avantage ceux qui réceptionnent les véhicules les plus anciens, les MRA.

Evolution des chiffres d'affaires par canal après-vente de 2020 à 2036
(en K€ HT) En 2020 En 2036 Evol. En 2036 Evol. En 2036 Evol.
Type scénario   bas en % médian en % haut en %
MRA 14 453 969 14 872 530 3 14 090 793 – 3 13 720 745 – 5
RA + agents 11 979 631 10 888 168 – 10 9 736 801 – 19 8 830 220 – 26
FF + C-A 11 603 427 11 207 162 – 3 10 393 515 – 11 9 915 211 – 15
MRA : mécaniciens réparateurs automobiles. RA : réparateurs agréés. FF : fast fitters (réparateurs rapides). C-A : centres-autos.

Selon l’étude, les MRA réceptionnent des VP d’un âge compris entre 7 et 16 ans, voire plus. Les réparateurs agréés voient entrer dans leurs ateliers les véhicules les plus jeunes, jusqu’à 6 ans. Les réparateurs rapides et les centres-autos opèrent, eux, sur des véhicules un peu plus âgés, de 4 à 10 ans.

En raison de ce parc entrant beaucoup plus âgé, le chiffre d’affaires des MRA gagne 3 % d’ici à 2036 dans le scénario bas par l’effet du vieillissement du parc et d’une proportion d’électrifiés faible à l’atelier, et il perd jusqu’à 5 % dans le scénario d’électrification haute. Les MRA conservent donc leur activité après-vente presque intacte, ils ont le temps de voir venir. En 2036, les entrées en atelier des véhicules électrifiés oscillent entre 15 et 21 % du total des entrées, dont 13 % de VE dans le scénario haut.

En revanche, pour les centres-autos et fast fitters, la structure du parc entrant chez eux, plus jeune, engendre en 2036 de réelles pertes de chiffre d’affaires : de – 3 % (scénario bas) à – 15 % (scénario haut). La part des véhicules électrifiés dans les entrées en atelier évolue de 29 % (dont 10 % de VE) dans le premier cas à 47 % (dont 34 % de VE) dans le second.

C’est pour les réparateurs agréés que la perte est la plus élevée, selon l’étude : entre – 10 et – 26 % de chiffre d’affaires en quinze ans. C’est la conséquence de la captation d’un parc jeune et beaucoup plus électrifié : 44 % d’électrifiés (scénario bas) à 72 % (scénario haut), avec une part de VE dans les entrées en atelier allant de 17 à 59 %. Pour eux, l’électrification pose une question majeure, celle de nouvelles diversifications à trouver ces quinze prochaines années.