Vincent Cobée (Citroën) : "viser une croissance mondiale de 20 à 30%"
Alors qu'il a rejoint PSA fin 2019 pour accélérer l'internationalisation de Citroën, Vincent Cobée en a finalement pris la direction début 2020, à la place de Linda Jackson. Le dirigeant fait le point sur le repositionnement de la marque, le lancement de l'Ami et les perspectives internationales.
Vincent Cobée, directeur de la marque Citroën depuis janvier 2020, a 51 ans
[Entretien réalisé avant le début du confinement le 17 mars 2020 en France]
L'argus. Après votre départ de Mitsubishi, en 2019, votre souhait était-il de rester absolument dans le secteur automobile ?
Vincent Cobée, directeur de la marque Citroën. Je suis arrivé au sein du groupe PSA début octobre et j’ai remplacé Linda Jackson à la tête de Citroën le 15 janvier. Effectivement, avant d’entrer dans l’automobile en 2002, j’ai travaillé pendant dix ans dans le secteur des travaux publics. L’automobile combine trois éléments fabuleux : l’industrie lourde, la technologie et un certain côté émotionnel, humain et artistique. Il est très rare de retrouver ces trois aspects dans d’autres environnements. Il s’agit d’une industrie à la fois attachante, passionnante, complexe, qui nécessite une implication mentale et humaine très forte. Pour toutes ces raisons, il est difficile d’en sortir.
Avoir travaillé chez Renault-Nissan, c’est un atout pour rejoindre PSA ?
J’ai travaillé sur quatre continents, ce qui m’a exposé à des cultures très différentes, mais aussi à énormément de crises. Pendant vingt ans, j’ai parlé anglais. Dans mon cas, l’Alliance a été une école de management très intéressante, sur le plan de l’approche « cross-culturelle », de l’efficacité industrielle, mais aussi de la conquête de territoire, du développement de marque.
Vous avez mentionné le mot « crise ». Quel est votre regard sur celle que l’on traverse ?
J’ai eu la malchance de vivre la crise du 11-Septembre aux États-Unis, celles de Lehman Brothers et de Fukushima au Japon ou encore les ennuis judiciaires de Carlos Ghosn dans ce même pays. Ce sont des moments perturbants qui m’ont appris quelques fondamentaux. Le premier est de communiquer avec ses équipes, car les crises créent des angoisses et la meilleure façon de les atténuer est d’être le plus transparent et le plus humain possible. Le deuxième est de déléguer, pour permettre une réaction rapide et adaptée, car une décision ne peut pas être prise à des milliers de kilomètres par des gens déconnectés des faits. Le troisième point essentiel est de donner une vision de l’après, en ancrant les organisations et les collaborateurs dans le fait que, certes la crise est terrible, mais il y a un après qui va impulser la direction, donner de l’espoir, le courage d’y faire face.
Quel regard portez-vous sur la position de la marque Citroën à l’aube de cette décennie ?
Il s’agit d’une marque qui a réalisé un travail sur elle-même extraordinaire au cours des six dernières années. L’identité de style s’est renforcé, clarifié, uniformisé. La famille de produits s’est restructurée et repositionnée au cœur des segments et des marchés, tout en étant cohérente et compétitive. L’approche de la marque dans les concessions et auprès des clients s’est modernisée et homogénéisée. Nous en récoltons les fruits sur le marché européen, où nous avons progressé de 30 % en six ans. Parmi les douze principales marques, nous avons été celle qui a le plus progressé l’année dernière. Si on regarde ensuite en dehors de l’Europe, nous voyons qu’il y a des zones où Citroën a très bien marché, comme au Japon, où nous affichons une performance commerciale admirable, mais aussi au Brésil, au Moyen-Orient. À l’inverse, la Chine reste un marché difficile et ce, pour l’ensemble du groupe PSA, de même que l’Argentine, où les turbulences économiques ont eu un impact fort sur notre performance. Il y a enfin des territoires sur lesquels nous sommes en phase de conquête, comme l’Inde et l’Asie du Sud-Est.

Les ventes en dehors de l’Europe ne représentent que 16 % de votre volume actuellement. L’objectif affiché en 2017 était d’atteindre une part de 45 %. Est-ce toujours envisageable ?
Cette dépendance à l’Europe est reconnue objectivement aujourd’hui comme étant trop forte et nous allons essayer de la réduire dans les cinq années à venir. Il y a une dizaine d’années, Citroën avait deux piliers très forts en dehors de l’Europe : la Chine et l’Iran. Le groupe a dû faire face à des complexités importantes sur le premier marché, tandis que l’activité dans le second est descendue à zéro, pour les raisons que l’on connaît. Nous avons bien l’intention de continuer de progresser en Europe, mais aussi de saisir des opportunités en dehors du continent. Celles-ci sont au nombre de trois aujourd’hui. D’abord, la zone Afrique-Moyen Orient, dans laquelle notre hypothèse de croissance dans les trois ou cinq années qui viennent va au-delà d’un doublement de notre volume actuel. La deuxième est l’Amérique latine, où nous avons une présence historique et une image très forte. Les principaux contributeurs sont le Brésil et l’Argentine. Nous avons pour ambition d’y progresser de 50 à 100 % dans les trois à cinq ans à venir. Vient enfin l’Inde, où la marque Citroën, qui n’y était pas présente, sera lancée cette année. En 2025, mon objectif est de rééquilibrer le mix de ventes à hauteur de deux tiers en Europe et d’un tiers en dehors.
Avec l’apport de l’Iran, Citroën visait 1,6 million d’unités dans le monde à horizon 2021 [992 825 en 2019]. Quelles sont vos perspectives ?
Je ne vais pas communiquer un chiffre compte tenu des perturbations que nous connaissons actuellement et l’absence de visibilité sur la sortie de crise. Nous avons établi une feuille de route qui nous permet objectivement d’envisager une croissance mondiale de 20 à 30 % dans les trois à quatre prochaines années, poussée par l’Europe, d’un côté, et par ces trois zones géographiques, de l’autre. Au-delà de 2026, nos perspectives de croissance vont bien au-delà de 30 %.
Quel est votre plan de bataille en Inde ?
Nous avons annoncé, en 2019, l’arrivée de la marque dans le pays et nous lancerons, d’ici à la fin de cette année, le C5 Aircross. PSA a mis en place un partenariat avec le groupe CK Birla pour la fabrication de moteurs et de boîtes de vitesses, ainsi que pour l’assemblage des véhicules. Le second site industriel pour l’assemblage sera opérationnel plus tard en 2020. La première perspective pour Citroën en Inde est d’établir un écosystème économique qui soit viable entre l’usine, les partenaires concessionnaires et l’activité commerciale. Il est important d’avoir une croissance raisonnée. C’est la raison pour laquelle nous avons adopté une approche progressive, sur les plans géographique, de la croissance des volumes, des développements de partenaires… Le plus gros piège serait d’afficher des ambitions trop hautes et d’être obligé de pousser les véhicules, ce qui serait destructeur de valeur. Dans une deuxième phase, à partir de 2021, nous allons lancer une famille de produits. Le développement a lieu actuellement entre l’Inde et l’Europe, les véhicules seront produits en Inde pour y être commercialisés, mais ce projet s’inscrit dans une logique d’application à l’échelle mondiale. Ces modèles auront vocation à être commercialisés à terme dans cinquante à soixante marchés dans le monde, potentiellement en Europe dans une troisième phase.
Quand on part de zéro, quelles sont les clés pour être rapidement visible et compétitif sur un marché très concurrentiel ?

Nous ne sommes pas présents en Inde, mais nous avons déjà une forte présence au Brésil et en Argentine, notamment en termes d’image, ainsi qu’en Afrique-Moyen-Orient, où nous enregistrons une forte croissance des ventes. Pour répondre à la question, il y a trois points à respecter. Le premier : s’assurer que les véhicules sont compétitifs et dans le cœur de marché, ce qui passe par un développement et une fabrication avec une forte implication locale. Le deuxième, notamment sur ces marchés de primo-accédants : rassurer le client sur les attentes fondamentales de durabilité, d’entretien, de réassurance via la garantie, la présence d’un réseau, une disponibilité des pièces de rechange… Le troisième : adopter une approche différente des marques historiques et dominantes, avec un déclencheur d’émotion et d’attirance nouveau dans le marché, qui peut être le style, les équipements, le confort...
Lors de la présentation du quadricycle électrique Ami, vous avez déclaré que Citroën était le fer de lance du groupe PSA sur la mobilité, notamment urbaine, l’innovation... Depuis quand et comment cela concrétise-t-il ?
Je dirais au minimum depuis 1948 et le lancement de la 2 CV, voire plus tôt. Il existe au sein du groupe PSA une velléité de renforcer et de clarifier les différentes marques qui le composent. Peugeot adopte un positionnement plutôt haut, avec la volonté de devenir une vraie référence en termes de qualités et de performances, Citroën développe des valeurs différentes, d’innovation, de confort et d’humanité. Ami en est une traduction, à la fois surprenante et logique. Nous sommes bien dans une logique d’innovation, il ne faut jamais refuser une bonne idée.
Quel est le plan de développement pour l’Ami et quelles sont les perspectives commerciales, sachant que vous avez opté pour des ventes en ligne, via Darty et la Fnac ?
Notre intention reste d’ouvrir les ventes du modèle en ligne en France fin avril ou début mai pour des livraisons prévues au début de l’été. Dans un deuxième temps, nous proposerons l’Ami à la vente en Espagne, au Portugal, en Italie et probablement en Belgique. Nous pouvons vraisemblablement imaginer une autre vague dans laquelle nous retrouverons l’Allemagne et les Pays-Bas. Suite à cette présentation, nous avons été contactés par des clients, des flottes, des acteurs de l’automobile ou des opérateurs de partage qui ne sont pas des interlocuteurs habituels de PSA. Initialement, nous avions ciblé des profils urbains et périurbains, des jeunes entre 16 et 25 ans, mais il existe d’autres catégories. Je pense, par exemple, à des professions libérales situées en zone périurbaine, qui ont besoin d’un véhicule pour des trajets courts, mais aussi des jeunes retraités. Grâce à notre modèle de vente en ligne, nous aurons une bonne compréhension des personnes intéressées.

L'Ami peut-il être rentable et si oui, comment ?
Notre ambition est de proposer une mobilité dans les meilleures conditions financières. Le message est simple : en location de longue durée, vous pouvez disposer d’une Ami pour le prix d’un forfait téléphonique mensuel, après un premier paiement qui équivaut à celui d’un scooter. Par ailleurs, nous avons dimensionné l’usine de Kénitra de façon prudente, avec une capacité de base de l’ordre de 20000 unités par an, mais gardé la possibilité de monter en cadence dans des délais très courts si la demande est supérieure. La réalité du marché reste à confirmer.
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Si le modèle est un succès, le réseau de distribution n’en profitera pas vraiment...
L’Ami sera disponible dans une partie du réseau qui aura choisi de participer à sa commercialisation. Elle est donc offerte aux distributeurs sur la base d’un choix qui peut être personnel, territorial… Sur ce sujet, j’ai rencontré des représentants du réseau Citroën à quatre reprises au cours des trois derniers mois. Ils se posaient naturellement les mêmes questions que tout le monde se pose : pourquoi Fnac Darty, quels clients ? Une grande partie des distributeurs m’ont dit qu’ils allaient pouvoir rencontrer des clients qui ne venaient pas dans nos points de vente. Une autre partie considère que cette approche va permettre de faire entrer dans l’environnement de la marque des clients qui, un jour, vont revenir chez nous. L’intention n’est pas d’ouvrir ce dispositif de vente en ligne à d’autres véhicules. Ce partenariat avec Fnac et Darty est étroitement lié à la nature du produit et au type de client que nous allons chercher.
L'Ami préfigure-t-il la nouvelle distribution automobile de demain ?
Le rôle du concessionnaire n’est plus d’éduquer, de convaincre ou de montrer sa connaissance générique d’une marque ou d’un produit, mais de démontrer le détail, de générer de l’émotion vis-à-vis d’un véhicule et surtout de maintenir une relation qualitative, cohérente et répétée avec le client pendant la propriété. Demain, on aura certainement besoin de moins d’espace dans les points de vente, mais de beaucoup plus d’identité de marque, de différenciation, d’une approche du vendeur beaucoup plus technique sur les produits, d’accompagnateur. Tout cela permettra de mieux répondre aux clients, mais également d’être plus efficace économiquement. Quels que soient les pays étudiés, la différence de profitabilité entre un très bon concessionnaire et un autre pas très focalisé est de plus de 5 points, les premiers atteignant 5 % ou 3 % du chiffre d’affaires, quand les seconds font 0 ou –2 %.
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L’Ami ne rentre pas en ligne de compte dans la réglementation sur le CO2. Quels modèles vont contribuer à la diminution du taux moyen ?
L’Ami n’a pas été développée pour des questions de CO2, mais pour répondre à des besoins de mobilité urbaine propre. Par ailleurs, les enjeux sur le CO2 s’expriment au niveau du groupe et non à l’aune de la seule marque Citroën. Nous allons lancer en 2020 six modèles électrifiés : Ami, C5 Aircross PHEV, un véhicule 100 % électrique en fin d’année, des utilitaires et un Spacetourer électriques. La C-Zéro va en revanche s’arrêter très prochainement. Mais l’Ami ne vient pas compenser ce retrait. Il faut être clair, on ne se situe pas du tout dans les mêmes niveaux de prix, le rapport est de 1 à 5. En introduisant Ami, on ne cherche pas à remplacer un véhicule, mais plutôt à anticiper les évolutions dans les années à venir.
Les objectifs CAFE peuvent-ils être modifiés ou reportés au regard de la crise sanitaire actuelle ?
Je sais que le groupe PSA est en trajectoire pour atteindre ces objectifs et, à ma connaissance, nous n’avons pas exprimé de demande pour qu’ils soient modifiés.