Voitures sans permis : un coup de jeune qui booste
Dans les années 90 et au début des années 2000, les voitures sans permis, carrées et bruyantes, se repéraient facilement sur la route. On roulait en VSP par nécessité. Aujourd'hui, les autos se fondent dans le trafic grâce à un design grandement amélioré, qui ne laisse pas insensibles les lycéens.
À l'image du point de vente d'Arles, l'ensemble des distributeurs de Ligier Group vont devoir adopter les standards du concept Ligier Store d'ici 2024
L’époque a bien changé. « En 2009, nous avons sorti notre véhicule CH 26 qui, avec son petit air de Mini, a vraiment fait évoluer le marché, retrace David Chatenet, président de la marque du même nom. Nous avons pris beaucoup de parts de marché à nos concurrents avec ce modèle au design innovant, et les autres marques ont fait évoluer leur gamme pour être à la page ». Les autres marques, ce sont Aixam, Ligier, Microcar, Bellier et Casalini. Sur ce marché de niche, les constructeurs français font la loi. Aixam, Ligier, Microcar ou encore Chatenet sont des entreprises familiales, qui produisent en France, mais dont le rayonnement est européen.
« La voiture sans permis a été pendant longtemps un marché 100 % français, explique David Chatenet. Quand l’Union Européenne a adopté une législation commune, en 1992, les constructeurs français étaient prêts à commercialiser leurs produits partout dans le continent ».
Bataille au sommet entre Aixam et Ligier
Aixam et Ligier Group se partagent le gros des immatriculations. Ce dernier a la particularité de couvrir le marché avec deux marques : Ligier, au positionnement « chic et sportif pour adresser une clientèle qui recherche le meilleur du sans permis », et Microcar, dont le positionnement se veut « malin et pratique afin de répondre à une clientèle en recherche du meilleur rapport qualité/prix ». En France, le mix de vente se situe autour de 50-50 tandis que la marque Ligier pèse 70 % du volume en Europe. En retrait en termes de volumes, Chatenet avance un positionnement plus haut de gamme (prix de vente moyen autour de 15 000 €, contre 12 000 à 13 000 € pour les autres marques).
Un marché porté par la Citroën Ami

Depuis 2020, le marché du quadricycle à moteur a vu émerger un nouvel acteur : Citroën, avec son Ami. « Ce n’est pas la première fois qu’un constructeur généraliste vient se positionner sur notre marché, puisque Renault a lancé la Twizy, rappelle Philippe Colançon, P-DG d’Aixam. Cela a fait un peu parler et nous en profitons aussi, même si je pense que la Citroën Ami est avant tout destinée au secteur de l’autopartage, sur lequel nous ne souhaitons pas prendre position ». Ce lancement en milieu d’année dernière a permis de dynamiser le marché hexagonal des VSP : + 15 %. D’ailleurs, à périmètre équivalent par rapport à 2019 (sans l’Ami donc), les immatriculations ont reculé de 5 %.
« L’autre phénomène que nous avons observé l’an passé, et que nous n’avions pas forcément anticipé, est l’explosion des commandes à partir du mois de juin, sous l’impulsion de personnes qui ont un peu de budget et qui ne souhaitent plus utiliser les transports en commun. Cela a duré jusqu’en novembre 2020 et c’est reparti de plus belle depuis le 15 janvier », souligne Philippe Colançon.
À fin février 2021, le marché des VSP affiche une progression de 19 % par rapport à la même période de l’an passé (+ 4 % sans les volumes de l’Ami). Un dynamisme que l’on retrouve sur le marché de la seconde main, deux fois plus important que celui du neuf. La demande y est plus importante que l’offre, ce qui permet de maintenir des prix de revente à un niveau élevé.
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Nouveau packaging pour le “pot de yaourt”
La bonne santé du secteur se veut le reflet de constructeurs nationaux qui se structurent, se professionnalisent, à l’aube d’une mutation technologique importante, puisque l’électrification des gammes de VSP devrait démarrer en 2022. La mutation du marché, amorcée ces dernières années, s’exprime à travers trois éléments : les produits, plus modernes et attrayants, la clientèle et le réseau de distribution. Exit donc la voiture “pot de yaourt” ainsi que les stéréotypes sur les conducteurs. Désormais, ce sont les jeunes qui poussent le marché.

« Jusqu’à la fin des années 90, nos clients étaient des retraités à la campagne. Dans les années 2000, nous avons commencé à développer des modèles adaptés à différents types de clients, notamment les jeunes, les femmes. Et cela a fonctionné car nous avons enregistré une croissance de 10 % tous les ans entre 2002 et 2007 », explique Philippe Colançon, qui a d’abord observé un intérêt des jeunes de 14-15 ans en Italie, plus particulièrement à Rome. « Nous avons lancé une étude de marché à la fin des années 2000 qui a révélé que deux tiers de nos clients étaient des actifs, contre 95 % de retraités dix ans plus tôt », poursuit-il. Un rajeunissement qui va se confirmer et s’accélérer à partir de 2018, suite au changement de réglementation permettant de conduire un VSP à partir de 14 ans (16 ans auparavant). La dimension sécuritaire et une accidentologie vraisemblablement plus faible par rapport aux deux-roues va également jouer en faveur de la voiture sans permis.
« Cela représente un investissement conséquent pour les parents ou les grands-parents – tous n’ont pas les moyens d’acheter un VSP à leurs enfants – mais quand on regarde le prix de ces voitures en occasion, ils perdent peu d’argent à la revente », affirme le PDG d’Aixam.
Une clientèle très hétérogène
Selon Ludovic Dirand, directeur commercial de Ligier Group, la voiture sans permis répond aux besoins de mobilité de plusieurs typologies de Français : les seniors, qui ont longtemps été les principaux utilisateurs de ces engins, les clients dits “protégés”, qui ont subi des “accidents de la vie” et qui sont actifs, les adolescents ou jeunes adultes, étudiants ou en apprentissage, et depuis quelques mois des jeunes urbains de 18 à 35 ans. Le dirigeant estime que cette population de “jeunes” dans son ensemble représente près de 70 % des ventes du groupe en Europe, une part que l’on retrouve en France dans le sud et en région parisienne. « Nous sommes sur un marché de niche qui est composé de micro-niches, car la clientèle est très disparate et très vaste, allant de 14 ans jusqu’aux seniors », résume David Chatenet. Cette poussée des plus jeunes reste encore très concentrée sur certaines grandes villes ou départements. Les différents constructeurs citent ainsi de concert les Alpes-Maritimes, le Var et les Bouches-du-Rhône comme étant les plus dynamiques pour les ventes de voitures sans permis, en raison d’une appétence grandissante des jeunes mais aussi de familles au pouvoir d’achat plus élevé.
Année 2020 | |||
Rang | Marque | Volume | %Var |
1 | Aixam | 6 342 | -5 % |
2 | Citroën | 2 609 | |
3 | Microcar | 2 493 | -14 % |
4 | Ligier | 2 341 | 1 % |
5 | Chatenet | 495 | 3 % |
6 | Renault | 417 | 29 % |
7 | Casalini | 380 | 15 % |
8 | Bellier | 93 | -9 % |
9 | Linhai | 87 | 21 % |
10 | Eglmotor | 48 | ++ |
11 | Sanyefuxin | 39 | 3 % |
12 | Jiayuan | 23 | ++ |
13 | Anaig | 18 | -63 % |
Autres | 44 | ||
Total | 15 429 | 15 % |
Source : AAA Data
« Les habitants du Sud ont moins de réticence à montrer qu’ils peuvent payer une voiture sans permis dans les 15 000 euros à leurs enfants de 14-15 ans que dans d’autres départements », ajoute David Chatenet. Cette poussée de la clientèle jeune commence à gagner également les grandes agglomérations.« Nous avons observé une mutation similaire à Montpellier et maintenant à Bordeaux, Nantes, Lyon, et les ventes s’orientent également vers cette population à Lille, détaille Ludovic Dirand. Dans les agglomérations de taille moyenne et dans les zones plus rurales, notre mix est plus équilibré entre la clientèle plus traditionnelle et ces jeunes ». De fait, ce changement de profil a naturellement fait évoluer les gammes de produits. « Nous avons assisté à une montée en équipement au fil des années alors qu’à un moment je m’étais juré que je ne proposerai jamais d’options sur les véhicules, car trop difficiles à gérer, admet Philippe Colançon. La clientèle de jeunes a notamment des besoins en connectivité, raison pour laquelle nous proposons des tablettes tactiles sur différents modèles. Entre les équipements de sécurité et ceux de confort, nous avons ajouté beaucoup de choses ».
Voiture sans permis et motoculture

Sur le terrain, il n’est pas rare que la voiture sans permis soit associée au secteur de la motoculture, les deux activités partageant un showroom commun. Mais ce positionnement ne semble pas ou plus s’inscrire dans la stratégie des constructeurs. « Jusqu’à présent, les opérateurs qui ont affiché les meilleurs résultats sont ceux qui sont investis à 100 % dans la voiture sans permis, informe Philippe Colançon (Aixam). Pendant longtemps, nous avons eu des vendeurs qui avaient aussi une activité dans la motoculture et qui n’étaient pas toujours orientés à 100 % sur le VSP. Nous nous appuyons encore aujourd’hui sur des sociétés qui ont d’autres activités mais qui ont créé des structures commerciales et après-vente dédiées, et cela fonctionne ». Reflet de la transformation en cours dans les réseaux, le groupe Ligier est allé chercher en 2018 Ludovic Dirand pour occuper le poste de directeur des ventes.
Ce dernier a notamment dirigé la marque Chevrolet pendant quatre ans avant de prendre la tête d’Emil Frey Belgique et de PSA Retail Suisse et Autriche. « J’ai découvert que les clients n’étaient pas ceux que j’imaginais, des réseaux de distribution passionnés par leur métier, attachés aux produits et à la relation avec le constructeur, mais qui n’avaient pas beaucoup évolué depuis plusieurs années, certainement par manque de plan stratégique », considère le dirigeant, dont l’une des missions sera justement de structurer le développement du réseau. Celui-ci est engagé depuis quelques semaines dans un vaste programme de création d’un nouveau concept de Ligier Store. « Nous avons expliqué à notre réseau en septembre dernier que pour continuer à vendre les produits de nos deux marques il faudrait les représenter dans un Ligier Store, avec une échéance finale à fin 2024 en France. Cela implique de passer une cinquantaine de sites aux nouvelles couleurs chaque année, dès 2021 », informe Ludovic Dirand. À ce jour, cinq sites ont déjà été aménagés et 41 sont inscrits pour basculer dans le nouveau concept. « Notre business est en croissance, il est rentable et donne envie aux investisseurs de faire les efforts financiers nécessaires pour faire un grand pas en avant et devenir beaucoup plus visibles ». Une démarche qualité qui pourrait provoquer quelques mouvements et faire le jeu des groupes de distribution automobiles.

Les groupes de distribution lorgnent sur le VSP
En quête de diversification, ces opérateurs scrutent avec un intérêt grandissant ce secteur d’activité. « Pendant longtemps, quand on tapait à la porte d’un distributeur automobile traditionnel, notre activité ne l’intéressait pas, se remémore Philippe Colançon. Désormais, il ne se passe plus une semaine sans que nous recevions des demandes de leur part. Le niveau des marges y est plus important, mais cela n’est pas nouveau ». Les groupes Cavallari, Easy Motors (Aixam), Dugardin, David Gerbier, Sofibrie, JFC Motors (Ligier Group) ou encore Midi Auto (Chatenet) ont ainsi sauté le pas. « Jusqu’à présent, notre métier était très largement inconnu des groupes de distribution automobile. D’ailleurs aucun des grands opérateurs hexagonaux n’avaient reçu la visite des responsables réseaux de nos marques mais aussi de celles de nos concurrents. Nous avons commencé à échanger avec eux et certains dossiers sont en cours de finalisation, précise Ludovic Dirand. Nous sommes sollicités par ces groupes, ce qui est plutôt récent, et notre concept Ligier Store n’y est certainement pas anodin. Mais nous avons aussi dans ce secteur des groupes spécialisés dans le VSP qui sont multi-sites, très bien structurés, très profitables, qui réalisent entre 2 et 3 millions d’euros de chiffre d’affaires sur chacune de leurs entités, et qui passent un peu sous les radars ».

Déjà bien implantés en région, les constructeurs n’entendent pas non plus déballer le tapis rouge aux concessionnaires automobiles. « Dans notre profession, nous avons pour habitude de dire que ce ne sont pas les plus belles cathédrales qui font vendre le plus de voitures, formule David Chatenet. Les acteurs qui viennent du secteur automobile ont un profil intéressant car ils ont les structures, les équipes, la mécanique, la notoriété mais nous disons “attention”. La condition pour qu’ils nous rejoignent est de s’appuyer sur un vendeur exclusif, recruté pour cette activité. Si le dirigeant dit à un vendeur de la concession Renault, par exemple, “maintenant, tu vas vendre de la voiture sans permis”, ce dernier peut percevoir ce changement comme une punition ». Autre argument en faveur des groupes automobiles, le véhicule électrique, qui les occupe depuis de nombreux mois. Le secteur des quadricycles n’échappe pas non plus à cette tendance.
« Nous sommes au-delà de la réflexion sur le sujet, aujourd’hui c’est lancé, précise David Chatenet. Je roule actuellement avec un prototype électrique, sur la base carrossée de notre modèle CH46, et nous allons lancer le modèle de série en 2022 ».
Pour Ligier, la bascule est annoncée pour le 1er trimestre 2023, avec un produit nouveau. « Nous essayons d’être assez pragmatiques, 100 % de notre clientèle n’est pas en attente d’un véhicule électrique, nuance Ludovic Dirand. Certains de nos utilisateurs affichent des kilométrages importants, de l’ordre de 10 000 à 15 000 km par an, par conséquent nous pensons que le thermique continue de répondre à un certain nombre de besoins ». De son côté, Aixam précise qu’il propose une gamme électrique depuis 2007 (berlines). En thermique ou en électrique, en version sportive ou pratique, la voiture sans permis répond aux nouveaux besoins de mobilité des Français et son potentiel de conquête semble encore important.
« On revient aux belles années de l’automobile »
Xavier Duthoit, dirigeant de la société Easy Motors

Vous distribuez Aixam depuis 2020. Quels enseignements tirez-vous de ce développement ?
Nous avons dépassé les 100 voitures neuves en 2020 et commercialisé autant d’unités en occasion via nos trois implantations. La métropole lilloise représente un volume d’environ 800 à 1 000 VSP par an, neufs et d’occasion. En 2021, nous sommes sur un rythme de 150 VN. Cela reste certes un micro-marché mais sur lequel la demande est croissante. L’éventail de la clientèle est très large et ces véhicules répondent à un vrai besoin en termes de mobilité, besoin renforcé par la crise sanitaire. Il s’agit d’une clientèle qui doit être davantage suivie et accompagnée que dans la distribution classique. Nous sommes plus dans un commerce de proximité et le rayon d’action des concessions est beaucoup plus restreint. On revient aux belles années de l’automobile sur le plan du business, car nous vendons des voitures aux prix catalogue. Le commerce est vertueux car les clients ne cherchent pas à bénéficier de remises, par conséquent les marges restent plutôt confortables et la décote en occasion est très faible par rapport aux voitures traditionnelles.
Quels sont les avantages de votre statut de distributeur automobile ?
Un opérateur qui ne fait que du VSP ne bénéficie pas de tous les leviers dont on dispose pour aller chercher du business, notamment à l’après-vente, en termes de financement... Il y a des synergies à mettre en place et des partenariats déjà existants que nous pouvons renforcer. C’est par exemple le cas avec Viaxel, qui nous accompagne dans l’automobile et qui est également captif d’Aixam. J’ai la volonté de développer la location avec option d’achat auprès d’un certain profil de clients, une solution encore peu valorisée dans le sans permis.
Cette activité est-elle intéressante pour un groupe de distribution ?
Oui, c’est une bonne diversification. Quand je me suis intéressé à la voiture sans permis en 2019, certains confrères ou même collègues dénigraient un peu le potentiel de ce marché, jugeant que cela n’avait pas de sens d’investir dans cette activité au regard de son chiffre d’affaires peu important. Avec du recul et un premier bilan de sortie, je considère que l’investissement est intéressant. Il existe une possibilité de rentabilité et de complément par rapport à l’automobile.